Vers Palerme (1/4), Vintimille

Dimanche 20 août 2000

Vintimille, 21:50.- Le train n’était pas à Nice, il a fallu prendre un TER, bondé, jusqu’à Vintimille. Un train moderne, à plusieurs niveaux mais plus que plein, celui de huit heures qui a attendu jusqu’à neuf heures moins le quart pour démarrer. Et à Vintimille, gare obscure, chaleur moite, des odeurs d’Asie, des voitures sales, peinturlurées, taguées, mal signalées. Ma voiture 598 s’est transformée (je l’espère) en 498. « Non riservato » d’après les petits panneaux. Je m’en fous, j’ai une couchette en bas. Un jeune couple français me rejoint, le type a un air Tom Cruise et elle est une grande noire sculpturale aux yeux vagues de Marie-Jo Perec et un accent parisien un peu voilé. Ils viennent de Nîmes, et plus récemment de la voiture 98 (eux aussi ont leurs places réservées sur la 598). Lire la suite

Nemo à Mathura

(Nemo m’accompagnait, il m’a accompagné pendant tout ce trajet. Il m’a accompagné secrètement, caché de moi. Ce n’est qu’aujourd’hui, une fois rentré à Nice, à Nice que le gris du ciel, la petite pluie fine, rend plus européenne encore, ce n’est qu’aujourd’hui que je l’entrevois, que je le remarque, comme une ombre, un double, un décalage de moi-même. Un fantôme, une présence plus qu’une forme.

Il attendait la fin de l’après-midi, lorsque la chaleur fléchissait, pour aller se promener sur les quais.) Lire la suite

terrasse à Udaipur

Sur la terrasse d’un hôtel et le palais brillait dans le lointain et semblait dans la nuit une gigantesque pièce de joaillerie. Soni au milieu de ses garçons, ils mélangeaient du gin et du Thumb’s up. Ils se passaient la cigarette blonde à bout filtre que l’un d’eux avait allumée. J’étais là, moi, au milieu, je mangeais lorsqu’ils ne faisaient que picorer et je buvais de la bière. Et je les regardais, hébété et ignorant, voyageur, fatigué aussi et détaché.

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Insomnie

Je ne peux pas dormir, j’entends l’eau de la rivière. Rapide, elle bruisse comme un torrent. J’écoute la rivière, c’est le milieu de la nuit. J’écoute la rivière parce que je ne peux pas dormir. Le milieu de la nuit, il n’y a d’autre bruit que celui de la rivière. Même les chiens dorment. Lire la suite

trois temples

(d’une lettre à B., Udaipur le 21 septembre 1992)

Hier, Soni, le peintre, m’a amené voir des temples. J’ai ainsi visité trois temples, dans trois lieux différents, tandis que le jour déclinait, et le parcours a été presque parfait.

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Haagse Bos

Lorsque je suis arrivé, en fin d’après-midi, j’ai cherché un hôtel dans les environs de la gare. Le premier était plein, le second avait encore une chambre. Je m’y suis donc installé.

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Tête (pour Denis Castellas)

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Ravenne

L’homme du soir à Ravenne. La nuit tombe. Il sait que jamais homme ne fut aussi savant que lui mais il perd la mémoire, sa langue trébuche, ses mains perdent leur agilité. Il n’a rien à inventer. Il résiste à la nuit qui tombe sur lui. La ville se vide.
Anecdote: il est pauvre, il est obligé de vendre ses livres. Il ne sert plus à rien. Il confond le Nil et le Danube.
Les jardins, les terrains vagues tout autour de la ville. L’herbe pousse sur la chaussée des rues. Des immeubles en ruines.
Les rues vides.
La pluie. Soleil. Il marche dans la campagne ravennate. Plaine. Le cœur toujours étreint par l’angoisse.
Il va chez le patrice. Il parle. On l’écoute à chaque fois stupéfait. Mais lui, sans que personne le remarque, s’embrouille, mélange les dates et les lieux.

J’ai peut-être trop attendu. Pourtant rien n’est changé. Les faubourgs sont pleins d’hommes. Comme lui je suis perdu, amer et j’ai l’envie de rendre.

« Les prairies à l’intérieur de la ville et les jardins commencent à fleurir et, sous peu, l’ombre des feuilles couvrira les petits sentiers, si bien que ceux qui les parcourent croiront que les avenues n’ont pas été ouvertes dans une ville mais en pleine montagne. »[1]

[1] description de Constantinople au printemps par Démétrios Kydones (vers 1320 – vers 1398)

Ravenne (mémoire)

À Ravenne le temps est couvert et j’ai mal à la tête. Il fait lourd. Je crois je transpire un peu, mauvaise sueur, aigre. Envie d’un café. Nous cherchons un café.

Je me souviens d’une rue assez large, presque déserte. Le ciel est gris et bas. Il fait pourtant clair. Les rues sont vides. Nous n’avons pas encore bu de café. La brique encore mais bien différente de ce qu’elle est à Sienne, plus sombre, plus rouge. Je me souviens d’une rue assez large, presque déserte. Plus loin des maisons avec des jardins, comme si nous étions dans les faubourgs. Mais je ne suis pas sûr: une rue assez large, presque déserte et de très larges trottoirs. Des façades décolorées et plates sauf un balcon au-dessus de la porte. Un palais de briques en retrait et un ou deux mètres sous le niveau de la chaussée, plat comme un décor de théâtre.

Je regarde le plan de la ville dans le guide Michelin pour tâcher de me rappeler le déroulement exact des deux heures passées à Ravenne. Mais impossible. D’ailleurs le plan de la ville est très confus, les rues souvent courbes, rarement orthogonales. Il me faudrait voir le plan du Guide Bleu, je crois que c’est sur lui que nous nous sommes guidés. Je relis aussi mes notes, il n’y a à peu près rien sur Ravenne. J’essaie cependant de rappeler mes souvenirs: Nous ne nous sommes pas arrêtés à Sant’Apollinare in Classe à l’aller. Ou plutôt, nous nous sommes arrêtés, nous sommes allés jusqu’à la grille de la Basilique mais elle était fermée.

Nous avons garé la voiture sur une petite place du quartier nord, non loin de San Vitale. Nous avons visité San Vitale, arrivés par une rue pavée et sans trottoirs. Clarté. Ensemble monumental bas, rouge, sur une pelouse verte. Touristes américains ou canadiens, pas d’Italien. Puis le mausolée de Galla Placidia, rempli d’un échafaudage. Nouvelle frustration. Puis le baptistère des Ariens.

Après ça se brouille.

Monte Olivetto (mémoire)

Ce matin on aura, malgré un ciel très nuageux, du soleil.

On est parti de Sienne par la route de Rome. On l’a quittée à Buonconvento pour visiter l’abbaye du Monte Olivetto. Une route pas très large sur des collines de terre sableuse, grise et ravinée, qui suit à peu près les crêtes émoussées, mais à droite une pente forte et profonde. Et il se fait que la route vire à main droite et descend un peu par une sorte de baisse. Et devant elle remonte dans un bois de cyprès où se voient des pans de murs de l’abbaye. Et tout autour de ce bois les olivettes.

Au milieu du bois il y a une grosse tour de briques à mâchicoulis et devant cette tour un parc carré où laisser les voitures. Le parc est vide. On gare. La tour est ouverte et la route passe dessous. De chaque côté au-dessus de l’arcade une terre cuite vernissée de l’école de della Robbia: la Vierge vers l’extérieur, Saint Benoît vers l’intérieur.

Et suivi une allée, étroite, pavée de briques et envahie d’herbes, plus droite que la route. Les cyprès sont mouillés et leur odeur est forte. Cent ou deux cents mètres.

Et lorsqu’on approche, devant apparaissent les hauts murs, tout de briques belges, de l’abbaye. Et ici c’est l’abside de l’église, et sur le haut du mur il y a deux ouvriers occupés à quelque travail de restauration ou que sais-je, dans le soleil et qui plaisantent à voix haute. Un premier moine dans le vestibule, ce sont des bénédictins en robe blanche, indique le chemin du cloître que nous voulons voir. Il nous accompagne puis nous laisse.

Le cloître est large, construit sans artifice d’élégance, avec des piliers carrés et de briques plus rouges, et ainsi les arcs, et surtout il est fermé sur le préau par des vitres. Et à travers ces vitres on regarde les plantes en pots dans le préau et au-dessus une galerie haute sur l’un seul des côtés, des pots de géraniums sur le parapet.

Et l’on suit sur les murs du cloître l’enchaînement des scènes de la vie de Saint Benoît. Celles peintes par le Sodome d’abord, puis celles peintes par Signorelli, celles là plus abimées.

Plusieurs fois, ça se passe ainsi: on vient chercher le saint dans son désert pour qu’il dirige ou fonde la communauté monastique. Le saint refuse d’abord et avertit que ses mœurs ne s’accorderont pas avec celles des moines. Puis il cède. Mais bien vite les moines se lassent de sa rigueur régulière et tentent de se débarrasser de lui ou de détruire son autorité. Et le saint ne tente pas de garder cette autorité. À chaque fois il repart, seul ou avec ses disciples les plus proches, au désert. Le miracle toujours scande l’anecdote, témoignage de la mission du saint ou de la bienveillance divine à l’égard des retirés. Et sur les murs sont figurées les tentations du monde ; surtout les sept femmes, peintes ici en voiles par le Sodome, que Florent, prêtre envieux du saint, fit folâtrer et chanter toutes nues dans le jardin du monastère afin d’exciter les moines à la luxure. Aussi, moins provocantes et plus simplement belles, les deux jeunes filles, peintes par Signorelli, qui servent de viandes et de vin les moines désobéissants. Celles-là sont telles qu’on les désirerait pour épouses.

Et les hommes du monde, ce sont les guerriers de Totila, très déhanchés, parfois grimaçants, en vêtements bariolés. En face d’eux les moines sont en groupe serein, que leur robe blanche rend monumental, dont les visages semblent d’enfants, très largement tonsurés et, hors les plus vieux comme le saint qui portent barbe blanche et longue, imberbes. Le secret est peut-être dans ceci que raconte Voragine: un moine, qui ne voulait pas rester dans le monastère, insista tant auprès de l’homme de Dieu que celui-ci, tout contrarié qu’il fût, lui permit de s’en aller. Mais à peine hors du cloître il rencontra sur son chemin un dragon, la gueule ouverte. Dans l’intention de s’en garer, il se mit à crier: « Accourez, accourez, il y a un dragon, il me veut dévorer ». Les frères accoururent, mais ne trouvèrent point de dragon; alors ils ramenèrent au monastère le moine tout tremblant et ébranlé. Il promit à  l’instant que jamais il ne sortirait du monastère.

En ces temps le monde était plein de dragons et de diables, de petits enfants noirs, que certains voyaient d’autres ne voyaient pas.

Et tandis que nous tournons dans le cloître, un moine sort par une porte sur la galerie, petit et d’aspect maladif, qui nous parle et qui disparaît par une autre porte. On entre dans l’église. La presque totalité de la surface de la nef est occupée par les stalles – en fait de cela je ne me souviens pas bien, je l’ai lu dans un livre, qui est un peu ancien, donc pas entièrement digne de confiance; mais l’image que je forme de cette information correspond assez bien à mon souvenir du transept. Un novice nettoie le pavement: il verse de l’alcool à brûler et jette dessus de la sciure, puis il balaie. On marche un peu et le novice vient, parle et demande qu’on vienne avec lui dans la crypte. En bas il y a des tombeaux je crois, d’ail1eurs on en est séparé par une grille. Et le novice n’en dit rien ou presque. Il demande d’où nous venons. Je dis que nous sommes niçois. Lui est piémontais. Il dit une phrase vite dans son dialecte. Il parle de son noviciat, dit combien de temps il faut attendre pour être moine. Il soupire. Il a la figure d’un jeune paysan. Un moine descend jusqu’à mi l’escalier et le rappelle à sa besogne.

Je me suis assis dans la voiture et j’ai regardé la carte, la porte ouverte. E. est allée à une fontaine pour laver les tomates. Je vais pisser contre un cyprès. J’ai devant les yeux une rigole de briques jaunes. Sur la petite route pendant que je conduis, E. me détaille une fougasse.