fracas des merles

Au point du jour lorsque le monde est bleu
sous le fracas des merles à gauche à droite ici
au fond de la vallée déjà là-bas
en bas les moteurs grondent et se hâtent
si tôt vers le travail

phares allumés dans le
petit jour comme ruisseaux
vers le fond
de la vallée convergent

demeures divines

Nous sortions du café sur la place du village de Berre. Le soleil, qui éclaire encore le village lorsque toute la vallée est recouverte d’ombre, le soleil ce soir était d’hiver et ne chauffait pas.

Le soleil qui à notre arrivée éclairait encore les façades au bord du village, à ce moment avait disparu derrière la chaîne du Férion.

A notre droite, vers le nord, au-dessus du panorama bruni par l’étalement de la nuit, les vallées, les croupes, les crêtes, les baux, noirs les morceaux des forêts, les premières éminences, les cols, tout ce monde des premiers mouvements des Alpes, déjà gagnés par la nuit sous un ciel épuisé à travers quoi poussaient déjà quelques étoiles, nous avons vu, au-dessus de la nuit, dans une lumière rose et mauve qui y semblait chez elle, éternellement, les neiges du Mercantour. Les demeures divines…

Les demeures divines au-dessus des champs de pierre.

A quoi j’ai souvent pensé pendant nos marches en montagne: au-dessus des forêts qui sont, avec leurs mousses, leurs cascades, leurs odeurs et leurs ombres, l’image de la vie mondaine de la chair, des plaisirs et des égarements, les pâturages arides qui représentent le premier temps de l’ascèse, la purification, pénible parce que le corps n’a pas encore trouvé le deuxième souffle, puis les lacs et au-dessus des lacs le paysage minéral, les champs de pierre, les paysages lunaires où la terre a quitté son vêtement de vie pour prendre la semblance de ses consœurs planètes, on est alors au-plus près du ciel, les étoiles brillent comme des diamants et l’espace entre elles est de la plus pure ténèbre, l’image de la connaissance intellectuelle qui retourne son regard vers la création.

dans une messe…

Dans une messe, en deçà des prédications morales et de l’engagement des stratégies vaticanes, en deçà de la liturgie sacrificielle, il y a quelque chose comme une archéologie active. Par son rite dominical, le christianisme replonge ses fidèles dans le bain de ses origines, dans l’ambiance de sa relation inaugurale et passionnée à l’écriture juive, dépôt de l’histoire d’un peuple et de son rapport au divin. Et en cela, malgré la reconduite d’un rite sacrificiel, la cérémonie de la messe ne peut se confondre avec une cérémonie païenne: le rappel des morceaux de l’écriture juive (les Psaumes essentiellement) mais surtout le rappel obstiné des palabres, des polémiques, des circonstances, des élaborations spéculatives de ce moment de l’histoire juive où est né le christianisme, vient encadrer le sacrifice et le relativiser. Comme si ce moment restait la source vive, la raison d’être jamais dépassée du christianisme.

C’est ce qui me saisissait tandis que j’assistais à la messe, aux Abbesses, avec C.. Il y a là quelque chose d’incongru et de fragile, de baroque. Ce rapport maintenu avec un lieu lointain et un moment éloigné de l’histoire, ce retour obstiné sur ce moment et sur ce lieu[1] ne suffisent pas à justifier ce rite mais suffisent à le rendre précieux.

[1] Ce que je retiens de plus vivant des séances de catéchisme sous l’église Saint-Pierre d’Arène, ce sont des images de désert, de palmiers et de chameaux, des images comme on en trouve sur les paquets de dattes, à l’approche de Noël, et chaque dimanche la messe où je servais comme enfant de chœur ramenait l’odeur de l’encens, les parfums de l’Arabie.

Pluie

J’avais entendu plus tôt dans la nuit cet écho de coups lointains mais je n’y ai d’abord pas fait particulièrement attention, j’ai supposé que c’était E. qui tapait quelque chose en basprès du feu. La pluie s’était mise à tomber vraiment fort. Je me suis réveillé à 3:55 (ou 2:55? je n’avais pas encore mis mon portable à l’heure d’hiver). Envie de pisser. Bandant et avec l’envie de pisser. J’ai pissé et je me suis recouché. À nouveau ces coups, plus forts, ils m’ont empêché de me rendormir. Alors me suis levé, j’ai fait le tour, je suis descendu. J’ai supposé que ce pouvait être la porte de séparation du salon, l’ai ouverte, suis rentré dans la pièce (sombre, où n’était plus E., sombre sauf les reflets de ce qu’il restait de braises vives des deux grosses bûches mises en début de soirée) et j’ai vu l’eau qui avait couvert le sol de l’office et avait débordé jusque dans l’entrée. J’ai pris le balai de pont. J’ai poussé le plus d’eau que j’ai pu par la porte de la cuisine. La pluie s’était calmée mais la queue de la tempête annoncée était arrivée et le vent secouait les arbres. Les chats me regardaient de sous le fauteuil en osier dans la cour. J’ai poussé l’eau dehors comme j’ai pu, pieds nus. Le sol devant la cheminée était chaud et agréable sous les pieds. Pour le reste il ne faisait pas froid. Puis je suis remonté me coucher. La pluie entretemps était revenue, violente et agitée par le vent. J’ai fini par comprendre que les coups que j’entendais sous mon oreiller étaient le bruit fait par un battant de la fenêtre entr’ouverte contre la crémone sous quoi je l’avais coincé. J’ai fermé la fenêtre. La pluie cognait sur les tuiles. J’ai écouté la pluie, dans la diversité du bruit il y avait quelque chose de proche, un impact de goutte proche et j’ai enfin repéré une gouttière, de l’eau que le vent poussait sous les tuiles au-dessus de ma chambre, sous la poutre faîtière, au-dessus du fauteuil. Dans ma hâte à ôter la lampe de sous le goutte-à-goutte, je l’ai faite tomber et son abat-jour en verre a fini de se briser. J’ai arrangé les choses comme j’ai pu, cherché une bassine en bas, etc. et j’ai fumé une cigarette. Le portable a sonné à 7:00, je me suis rendormi (mes morceaux de sommeil de la nuit ont tous été délicieux) et me suis réveillé pour de bon (cela faisait un bon moment que je ne dormais plus profondément) à 9:40. Habillé tout de suite pour prendre la voiture avec l’idée de déjeuner à la Pointe. En bas l’eau était revenue et s’étalait devant la cheminée jusqu’à la salle à manger. E. a pleuré.

La Pauline

Belle, couvre ses longues jambes sur le banc du quai d’en face, puis se lève, déplie ses longues et belles jambes, fait trois pas, se rassoit et recouvre à demi ses jambes, ses longues et belles… J’ai laissé mon sac dans la gare, j’ai soif, j’ai marché le long de la route, émerveillé d’un coup de mémoire, le long de la route, soleil et vent. Mais en bas, au carrefour, l’ « Auberge Provençale » était fermée, un chien aboyait derrière les carreaux, invisible dans l’obscurité des salles, j’ai marché encore un peu le long de la route, silos rouillés, hangars, panneaux, automobiles mais rien, décidément, pour le piéton. La silhouette du château de la Garde au loin, au bout d’une petite route pas très droite bordée de pavillons. Je suis revenu vers la gare, dont j’ai reconnu la forme blanche, inconnue et familière, juchée sur le long talus de la voie ferrée; les rames oranges d’un TGV venaient de passer. Je suis revenu vers la gare. Les terrasses fraîches d’un petit jardin, des murets blancs. C’est parce que je me suis mal arrangé que je me retrouve ici à pied tout seul et j’aurai à descendre de la gare de la Ciotat et marcher jusqu’au port. Comme j’aime ça pourtant, marcher seul; je me suis dit: « Le monde est plein de dieux », faute de mieux. Et maintenant je suis assis sur le quai de la gare, les pieds sales au soleil, dans le vent. Les trains de voyageurs laissant un sillon de terreur, le cœur battant. Je me dis que nous aurons connu le train. Nous n’aurons pas connu le cheval mais nous aurons connu le train.

Et arrive cette belle, qui baille, se caresse les cuisses à présent découvertes, se regarde les ongles et me regarde de temps à autre, en face, hélas, regarde mes yeux qu’elle ne voit pas, cachés qu’ils sont par mes Ray-Ban, mais qu’elle devine. Me regarde écrire, de plus en plus. Ah! de l’autre côté de la voie ferrée.

Bali à la radio

Radio: à Bali des coqs tout le temps sur la bande son. J’imagine des maisons à grands toits, avec des galeries sur le devant, sur pilotis, perchées au-dessus de rues couvertes de gazon. D’herbe verte où se promènent les crêtes rouges des coqs. Et les hommes en sarongs et chemisettes, un calot sur la tête. Voilà ce que j’imagine. Je m’y verrais bien, presque comme je suis, tapant sur mon clavier, avec les cris des coqs dehors, des chansons de variétés aux inflexions arabes et chinoises, aigres, dans un poste de radio non loin. Mais sur le soir, plus loin, du côté du temple, le son d’un gamelan. Le gamelan, doux et énervant, que je ne peux écouter que mhashish, alors, c’est comme l’eau fraîche d’un torrent qui coule à travers moi.