Monte Olivetto (mémoire)

Ce matin on aura, malgré un ciel très nuageux, du soleil.

On est parti de Sienne par la route de Rome. On l’a quittée à Buonconvento pour visiter l’abbaye du Monte Olivetto. Une route pas très large sur des collines de terre sableuse, grise et ravinée, qui suit à peu près les crêtes émoussées, mais à droite une pente forte et profonde. Et il se fait que la route vire à main droite et descend un peu par une sorte de baisse. Et devant elle remonte dans un bois de cyprès où se voient des pans de murs de l’abbaye. Et tout autour de ce bois les olivettes.

Au milieu du bois il y a une grosse tour de briques à mâchicoulis et devant cette tour un parc carré où laisser les voitures. Le parc est vide. On gare. La tour est ouverte et la route passe dessous. De chaque côté au-dessus de l’arcade une terre cuite vernissée de l’école de della Robbia: la Vierge vers l’extérieur, Saint Benoît vers l’intérieur.

Et suivi une allée, étroite, pavée de briques et envahie d’herbes, plus droite que la route. Les cyprès sont mouillés et leur odeur est forte. Cent ou deux cents mètres.

Et lorsqu’on approche, devant apparaissent les hauts murs, tout de briques belges, de l’abbaye. Et ici c’est l’abside de l’église, et sur le haut du mur il y a deux ouvriers occupés à quelque travail de restauration ou que sais-je, dans le soleil et qui plaisantent à voix haute. Un premier moine dans le vestibule, ce sont des bénédictins en robe blanche, indique le chemin du cloître que nous voulons voir. Il nous accompagne puis nous laisse.

Le cloître est large, construit sans artifice d’élégance, avec des piliers carrés et de briques plus rouges, et ainsi les arcs, et surtout il est fermé sur le préau par des vitres. Et à travers ces vitres on regarde les plantes en pots dans le préau et au-dessus une galerie haute sur l’un seul des côtés, des pots de géraniums sur le parapet.

Et l’on suit sur les murs du cloître l’enchaînement des scènes de la vie de Saint Benoît. Celles peintes par le Sodome d’abord, puis celles peintes par Signorelli, celles là plus abimées.

Plusieurs fois, ça se passe ainsi: on vient chercher le saint dans son désert pour qu’il dirige ou fonde la communauté monastique. Le saint refuse d’abord et avertit que ses mœurs ne s’accorderont pas avec celles des moines. Puis il cède. Mais bien vite les moines se lassent de sa rigueur régulière et tentent de se débarrasser de lui ou de détruire son autorité. Et le saint ne tente pas de garder cette autorité. À chaque fois il repart, seul ou avec ses disciples les plus proches, au désert. Le miracle toujours scande l’anecdote, témoignage de la mission du saint ou de la bienveillance divine à l’égard des retirés. Et sur les murs sont figurées les tentations du monde ; surtout les sept femmes, peintes ici en voiles par le Sodome, que Florent, prêtre envieux du saint, fit folâtrer et chanter toutes nues dans le jardin du monastère afin d’exciter les moines à la luxure. Aussi, moins provocantes et plus simplement belles, les deux jeunes filles, peintes par Signorelli, qui servent de viandes et de vin les moines désobéissants. Celles-là sont telles qu’on les désirerait pour épouses.

Et les hommes du monde, ce sont les guerriers de Totila, très déhanchés, parfois grimaçants, en vêtements bariolés. En face d’eux les moines sont en groupe serein, que leur robe blanche rend monumental, dont les visages semblent d’enfants, très largement tonsurés et, hors les plus vieux comme le saint qui portent barbe blanche et longue, imberbes. Le secret est peut-être dans ceci que raconte Voragine: un moine, qui ne voulait pas rester dans le monastère, insista tant auprès de l’homme de Dieu que celui-ci, tout contrarié qu’il fût, lui permit de s’en aller. Mais à peine hors du cloître il rencontra sur son chemin un dragon, la gueule ouverte. Dans l’intention de s’en garer, il se mit à crier: « Accourez, accourez, il y a un dragon, il me veut dévorer ». Les frères accoururent, mais ne trouvèrent point de dragon; alors ils ramenèrent au monastère le moine tout tremblant et ébranlé. Il promit à  l’instant que jamais il ne sortirait du monastère.

En ces temps le monde était plein de dragons et de diables, de petits enfants noirs, que certains voyaient d’autres ne voyaient pas.

Et tandis que nous tournons dans le cloître, un moine sort par une porte sur la galerie, petit et d’aspect maladif, qui nous parle et qui disparaît par une autre porte. On entre dans l’église. La presque totalité de la surface de la nef est occupée par les stalles – en fait de cela je ne me souviens pas bien, je l’ai lu dans un livre, qui est un peu ancien, donc pas entièrement digne de confiance; mais l’image que je forme de cette information correspond assez bien à mon souvenir du transept. Un novice nettoie le pavement: il verse de l’alcool à brûler et jette dessus de la sciure, puis il balaie. On marche un peu et le novice vient, parle et demande qu’on vienne avec lui dans la crypte. En bas il y a des tombeaux je crois, d’ail1eurs on en est séparé par une grille. Et le novice n’en dit rien ou presque. Il demande d’où nous venons. Je dis que nous sommes niçois. Lui est piémontais. Il dit une phrase vite dans son dialecte. Il parle de son noviciat, dit combien de temps il faut attendre pour être moine. Il soupire. Il a la figure d’un jeune paysan. Un moine descend jusqu’à mi l’escalier et le rappelle à sa besogne.

Je me suis assis dans la voiture et j’ai regardé la carte, la porte ouverte. E. est allée à une fontaine pour laver les tomates. Je vais pisser contre un cyprès. J’ai devant les yeux une rigole de briques jaunes. Sur la petite route pendant que je conduis, E. me détaille une fougasse.