Une place couverte d’herbes devant notre très vieille église badigeonnée de chaux blanche. Notre religion était brouillonne et délabrée. Un vague mélange de morale et de superstitions.
Mais j’ai des souvenirs d’enfance, de palmiers sur fond d’or, des fumées laiteuses de l’encens, des cadences latines. Mon jeune frère s’ennuyait et s’agitait sur le banc de bois. Je ne m’ennuyais pas, mon regard se promenait sous les voutes de l’église, je sautais des tribunes aux lustres. Telles étaient mes messes: la rêverie des yeux et des narines, la molle gymnastique du rite, des stations et des génuflexions, des répons dans une langue ni comprise ni incomprise, où le sens était en écho derrière la brume de la prosodie, une langue accueillante, un oreiller où l’évidence du sens aurait mis de la dureté.
D’une mer à l’autre est notre pays plissé, de vallées longtemps étanches l’une à l’autre et le fond des vallées est plus haut, plus haut, plus haut encore. Nos vallées larges, longues, vertes et profondes. Les bergers et les brigands, là-haut.
Les dieux qui habitent là-haut, dans la lumière dorée, au-dessus des lacs stériles, au-dessus des sources, au-dessus des lacs où vivent des poissons de pierre laissés par le déluge, les dieux qui habitent là-haut, sur des trônes de nuage, qui habitent l’Olympe ancien, ce sont les dieux du lycée, sans religion. Ils coulent comme des sources huileuses dans la langue des poètes, des saltimbanques, des peintres.