(Nemo m’accompagnait, il m’a accompagné pendant tout ce trajet. Il m’a accompagné secrètement, caché de moi. Ce n’est qu’aujourd’hui, une fois rentré à Nice, à Nice que le gris du ciel, la petite pluie fine, rend plus européenne encore, ce n’est qu’aujourd’hui que je l’entrevois, que je le remarque, comme une ombre, un double, un décalage de moi-même. Un fantôme, une présence plus qu’une forme.
Il attendait la fin de l’après-midi, lorsque la chaleur fléchissait, pour aller se promener sur les quais.)
J’étais venu m’asseoir sur la balustrade du kiosque, un homme était assis là, dans une autre embrasure entre deux colonnes, silencieux, qui m’a à peine regardé lorsque je suis venu m’asseoir, et deux chiens étaient couchés dans le kiosque, dormaient, qui eux non plus n’ont pas porté beaucoup d’attention à mon arrivée. Mais je ne suis pas resté longtemps, j’ai été chassé par les moustiques.
Dans la journée la ville est pleine de mouches. Dans la journée, dans la chaleur et la lumière de la journée, la ville est pleine de mouches. Le soir, au moment où le soleil s’approche de l’horizon et où la nuit commence de tomber, se lèvent des nuages de moustiques. Je ne peux pas rester, il aurait fallu que je m’enduise d’essence de citronnelle. Je laisse le kiosque qui surplombe les derniers degrés du »ghat » à l’homme et aux deux chiens. Et je vais me promener le long des quais.
(Nemo est invisible. Il a réussi ça. Il se promène le long des quais et s’arrête aux échoppes des libraires.)
Il y a un jeune garçon. Il a alors à la main une grosse boulette au sucre et au lait. Tandis que de trois doigts il partage la boulette en trois ou quatre morceaux, il m’explique que c’est une puja, une offrande. Au moment où il m’en offre un morceau, le libraire dit « non » et le garçon renonce à m’offrir un morceau de son offrande.
C’est le deuxième soir et maintenant on s’est habitué à ma présence dans le quartier. On ne me regarde plus. Je marche, je traverse les nuées de moustiques et je vais m’asseoir à l’échoppe d’un libraire.
La nuit tombe très vite. Peu après la disparition du disque solaire derrière l’horizon la nuit est tombée. Le ciel n’éclaire plus, ce sont les ampoules et les lampes.