dans une messe…

Dans une messe, en deçà des prédications morales et de l’engagement des stratégies vaticanes, en deçà de la liturgie sacrificielle, il y a quelque chose comme une archéologie active. Par son rite dominical, le christianisme replonge ses fidèles dans le bain de ses origines, dans l’ambiance de sa relation inaugurale et passionnée à l’écriture juive, dépôt de l’histoire d’un peuple et de son rapport au divin. Et en cela, malgré la reconduite d’un rite sacrificiel, la cérémonie de la messe ne peut se confondre avec une cérémonie païenne: le rappel des morceaux de l’écriture juive (les Psaumes essentiellement) mais surtout le rappel obstiné des palabres, des polémiques, des circonstances, des élaborations spéculatives de ce moment de l’histoire juive où est né le christianisme, vient encadrer le sacrifice et le relativiser. Comme si ce moment restait la source vive, la raison d’être jamais dépassée du christianisme.

C’est ce qui me saisissait tandis que j’assistais à la messe, aux Abbesses, avec C.. Il y a là quelque chose d’incongru et de fragile, de baroque. Ce rapport maintenu avec un lieu lointain et un moment éloigné de l’histoire, ce retour obstiné sur ce moment et sur ce lieu[1] ne suffisent pas à justifier ce rite mais suffisent à le rendre précieux.

[1] Ce que je retiens de plus vivant des séances de catéchisme sous l’église Saint-Pierre d’Arène, ce sont des images de désert, de palmiers et de chameaux, des images comme on en trouve sur les paquets de dattes, à l’approche de Noël, et chaque dimanche la messe où je servais comme enfant de chœur ramenait l’odeur de l’encens, les parfums de l’Arabie.

la gare dans les vignes

Je les ai ramenés à la gare à travers les vignes. J’aurais voulu partir avec eux mais elle m’en a dissuadé.

Elle m’avait regardé surprise: la petite voiture blanche était garée sur la place devant la gare. Je n’avais rien à leur dire et rien eu à leur dire pendant tous ces jours que nous avions passés ensemble. Je n’avais rien à leur dire, je sentais ce manque en moi physiquement. Nous avions passé plusieurs jours ensemble et maintenant nous n’avions rien à nous dire.

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La tête de l’Aphrodite de Cnide au Louvre

Elle est de marbre blanc et mat et le cheveu
au creux des mèches garde une trace de roux
le devant de la face est sali d’une bande
verticale de gris sur le front et le nez
les lèvres le menton mais la joue reste pure
le marbre là très blanc et brillant de paillettes
je m’approche jusqu’à le retour de mon souffle
sur ma bouche sentir le dessin de la joue
pour moi est signe qui ne peut laisser de doute
comme une morte ainsi la déesse se donne
le visiteur impie rompt le trouble en posant
sur la beauté ses doigts et par ce toucher laisse
dans le marbre poreux des fragments de la peau
grise et morte déjà qui entoure son corps
mais la joue est de neige et pure à mon baiser
aussi l’espace opaque entre les lèvres bées
et deux filets aux coins deux traces de salive
le mortel qu’on trouva dans le temple de Cnide
auprès de la statue de son foutre souillée
il était moins troublé peut-être par le corps
que devant le visage à présent je ne suis
mes lèvres ni mes doigts ne toucheront le marbre.

(octobre 1978)