mets la quille aux brisants (v. 2)

la mer ainsi d’abord mets la quille aux brisants
de ce bateau noir de cette coque goudronnée
et prends l’âme au corbeau les ailes de son corps
plane sur l’océan divin la mer vineuse la boue de mort
et au loin jusqu’à l’île entre les fleuves de sang
au ciel pur avant que n’y plane la fumée des holocaustes

mets la quille aux brisants

met la quille aux brisants
la mer ainsi au commencement
prends l’âme du corbeau trickster
l’âme du corbeau id est ses ailes id est
les ailes de son corps
et plane forth on the godly sea
see those mighty walls where ends
cet océan divin là
mer vineuse boue pourrissante
prends l’âme du corbeau les ailes de son corps
et plane sur l’immense vase où pourrissent les
corps au loin jusqu’à l’île الجزيرة
entre les fleuves de sang l’île au ciel pur
avant qu’y montent les fumées des holocaustes

le passage des glaces

Il fit de plus en plus froid. J’étais comme malade et ne savais plus pourquoi j’étais sur ce bateau. Le capitaine ne disait rien de la destination, pourquoi nous allions ainsi vers le froid. J’avais comme un capuchon de brume sur la tête. Je lisais un gros livre, long et compliqué. J’avais du mal à en suivre l’intrigue. Le cuisinier me demandait combien de pages j’avais lu dans la journée et où j’en étais et il riait. Je revenais sans cesse en arrière, attention sans cesse distraite par la rêverie mais une rêverie qui ne décollait pas beaucoup du roman. Je partais sur une fausse piste, la suivais sur plusieurs dizaines de pages, jusqu’à ce que je sois tout à fait égaré. Dans une fièvre vague et toujours dans le fracas des machines. Si je montais sur le pont, c’était enveloppé dans deux grosses couvertures et même ainsi je grelottais, claquais des dents, j’étais transi. On vit d’abord quelques petits icebergs puis plus gros, de plus en plus gros et de plus en plus nombreux. Lire la suite

l’île du lion (le rêve)

Je me tourne sur le matelas. Longtemps que j’ai perdu l’habitude de me lever au premier réveil. Ça fait plusieurs jours que nous tirons plein nord et je commence à sentir un peu de froid, surtout un méchant courant d’air qui me passe sur la tête. Je mets un pan de drap par-dessus et j’essaie de retrouver le fil du rêve interrompu.

Le navire est au mouillage, seul au milieu de la baie. Il est près de midi. L’air est frais, soleil de décembre, pas un nuage. Je m’accoude au bastingage, je fume une cigarette en clignant des yeux, ébloui par le soleil. Pas de bruit sauf un cri d’oiseau et le petit signe noir dans le ciel seul mouvement ou par moment une rafale de vent qui frise la surface de l’eau et fait siffler le métal du navire et clapoter l’eau contre la coque. Le spectacle est net. Le relief de l’île, les collines jaunes avec des petits bouts de forêts sur les hauteurs, plutôt pelé dans l’ensemble. La terre ocre jaune caillasse en reliefs une série de rides verticales. Sur la gauche de la plus haute colline l’herbe est sèche et jaune roux où elle pousse plutôt sur l’ubac, les arbres par taches plus ou moins denses, les yeuses vert noir clairsemées ou les oliviers vert gris au-dessus de la ville qui est à gauche sur la baie, un peu au-dessus du niveau de l’eau. Ce qu’accoudé au bastingage, au sortir de l’escalier de coursive, ce qu’on voit d’abord dans le balancement vertical masse de pierre terre qui émerge de la surface bleu nuit et le silence, nulle vie pas un nuage au ciel et les arbres, ce ne sont que de très vagues nuances vertes par endroits, comme perdue dans l’ombre. Et à gauche, un peu au-dessus du niveau de l’eau, il y a un village ou une petite ville, le haut du village est abandonné, la peinture est tombée, des maisons sans toit et des maisons sans fenêtres, dessous quelques maisons peintes qui semblent habitées, juste au-dessus de la petite falaise, de l’escarpement rocheux, de rocher gris noir percé de quelques trous comme à dessein. De celui le plus important et où la mer pénètre, qui est à gauche, sort une passerelle ou embarcadère sur pilotis.

En milieu de matinée le canot à moteur est mis à la mer. Il ramène le maire et son conseiller. Je les accompagne. On les laisse au pied d’un escalier taillé dans le rocher, serrent les mains, puis le canot continue le long de l’escarpement rocheux. Me laisse, moi, en face de l’ouverture noire, sur le débarcadère. « Nous reviendrons vous prendre à cinq heures, me dit le matelot, à bientôt monsieur. »

Des couloirs dans la falaise. Au bout la bibliothèque, éclairée par des lampes à huile fixées sur les murs. Je rencontre quelques habitants, qui marchent dans la bibliothèque, avec ou sans livre, sans faire attention à moi. Des hommes vieux en robes longues. Il y a beaucoup de couloirs, je continue. Il y a plus de monde, pas seulement des vieillards maintenant, des hommes de tous âges et des femmes. Ils marchent ou lisent debout. Je n’en vois pas parler mais j’entends une rumeur de voix très basse. J’arrive dans une salle carrée où il y a tant de monde que j’ai de la peine à me frayer un passage. Il y a un éboulis qui donne dans la ville, dans la partie habitée de la ville. Des enduits clairs, bleu pâle, rose, jaunes et blancs, une grosse femme qui vend des pastèques, un âne qui passe chargé de légumes et à droite une terrasse de café ombragée d’une vigne, où il y a des vieux qui parlent et qui jouent aux cartes. Je continue à marcher vers l’amont. En amont les maisons sont abandonnées, l’enduit peint est tombé par plaques, certaines n’ont plus de toit, pour la plupart il y manque des tuiles, certaines ne sont plus qu’une façade, il y a des pans de mur effondrés, les plus riches sentent la pisse, l’herbe pousse au milieu de la rue, des valérianes rouges sur les remblais, des petits figuiers s’enracinent au pied des murs, écartent les moellons.

En haut de la ville il y a un mur, pas très haut et en mauvais état, entre les dernières maisons vides et la colline. Au-delà du mur en amont il y a les collines, des terrasses avec des oliviers. Et au milieu du mur un éboulis, un tas de cailloux. C’est une brèche dans le mur et à l’endroit de cette brèche il y a un tas de cailloux, assez haut, et des enfants sur ce tas de cailloux, des garnements, l’homme qui passe à leur portée, ils lui jettent des pierres. Sûrement que là-haut ils attendent une bande rivale. Ou simplement ils gardent l’accès des collines. Prudemment je fais un long détour pour les éviter. Ou plutôt: je débouche devant le mur, au pied de la brèche. Ils me jettent des pierres. Alors je m’enfuis le long du mur. Ils se lancent à ma poursuite. Je prends à gauche, je rentre dans le village puis, après un petit détour, je reviens vers la brèche, ils sont tous derrière moi, un peu distancés. Il n’y a pour garder la brèche que deux petits, surpris par mon retour, qui n’ont que la ressource de siffler. Je grimpe sur le tas de pierre et je monte dans la colline. Ils ont abandonné la poursuite. A partir de là ça tient de la parabole. Au-dessus des oliviers c’est pelé, quelques genêts et des herbes sèches. Je rencontre plusieurs bêtes, jusqu’à ce qu’en haut, à l’heure de midi, je rencontre le lion.

A cinq heures je suis au rendez-vous sur l’embarcadère. C’est seulement sur le canot qui me ramène au bateau que je m’aperçois que je tiens un livre dans la main gauche. Je l’ai pris ou quelqu’un me l’a donné dans la bibliothèque. Il a sur la gouttière un fermoir assez complexe. Je renonce à l’ouvrir. Je remonte sur le bateau et je suis très fatigué. Je mange un morceau et je vais me coucher. Je m’endors tout de suite.

enroulé

Enroulé dans un sac de couchage tout à côté de la salle des machines. J’ai fait presque tout le voyage enroulé dans un sac ou dans des couvertures à même le sol, dans l’entrepont, pas loin de la salle des machines. Il y avait tout le temps le bruit des machines. Continuellement. Je m’endormais, rêvais, me réveillais avec le bruit des machines. Je dormais presque tout le temps. Non, c’est un peu exagéré, je dormais beaucoup, beaucoup plus que d’habitude, et je rêvais beaucoup. Je passais aussi beaucoup de temps allongé dans mes couvertures à me remémorer mes rêves, à me les raconter. Lorsque je me levais, j’allais dans la cuisine. Lire la suite