la grande salle…

Lire la suite

nos cartes

Il était capable de défendre avec un sérieux de plomb les hypothèses les plus extravagantes. Il faut dire que nous entrions alors dans son jeu et que nos objections étaient telles qu’elles lui permettaient de raffiner ses extravagances. Ainsi prétendait-il que le monde n’était que le produit de notre imagination. C’est pourquoi les formes du Nouveau Monde sont plus simples que celles de l’Ancien. Si nous ne nous étions empressés d’en faire des cartes pour en fixer les contours, il y a fort à parier, disait-il, qu’il aurait aujourd’hui des contours, un relief, etc., beaucoup plus complexes.

Lire la suite

Chine

Il ne se passe pas de jour que ne s’entende un bruit de fusillade dans le quartier. Hier sur le chemin du bureau j’ai vu un jeune homme allongé au pied d’un mur, un balle explosive avait ouvert son ventre. Un communiste, je crois. Je me suis penché sur lui et il m’a dit de ne pas rester là, de passer mon chemin. Il avait la tête penchée vers sa blessure et il a dit, sans bouger la tête, « Fous le camp! Ne reste pas là, fous le camp! ». Et comme je me suis éloigné, il a dit calmement, comme pour lui-même : « Je ne souffre pas. » Lire la suite

un copiste

Qui d’autre que l’Éternel peut juger ? La vie de chacun est à ses propres yeux chose étrange, dont le sens lui échappe, comment pourrait-il se faire juge de la vie d’autrui ? Je ne me connais pas mais Lui me connaît et ce n’est pas ma connaissance que je dois chercher pour me guider mais Sa connaissance. « Accorde-moi, Seigneur, de suivre tes volontés », voilà le fin mot de toute prière. Quelle présomption que de demander telle ou telle bien au Seigneur, croiras-tu savoir ce qui te convient mieux que Lui ?

Tel qui croit posséder sa vie, qui, croit-il, s’est toujours tenu sur la voie du bien, un jour Il lui envoie un présent incongru qui lui fait comprendre que Lui seul sait, et voilà l’homme de bien, l’homme des certitudes, envoyé sur les routes pleines de danger de pays inconnus. Lire la suite

café

Je les voyais presque tous les jours, assis à la même table du café, comme en vitrine, elle assise le dos à la rue et lui en face d’elle. Ils se parlaient les yeux dans les yeux, à voix basse, penchés l’un vers l’autre, lui assis le cul sur le bord de sa chaise, et lorsqu’elle baissait le regard vers sa tasse de café, il se penchait encore plus vers elle et de sa main droite lui prenait sa main gauche, sans cesser de parler. Ou bien parfois se tenant les mains par dessus la table ils se taisaient, appuyés sur les coudes, très proches, elle, regardait devant elle et lui sur le côté vers la rue, d’un regard qui ne voyait rien.

Alice

Elle est assise dans le canapé, au milieu, elle lit les Contes de Perrault. La porte de la pièce du fond est fermée. Son père n’a rien dit lorsqu’il s’y est enfermé, ce n’était pas la peine : Alice sait que lorsqu’il ferme cette porte derrière lui, il ne faut pas le déranger.

Lire la suite

ville

Les rues sont droites et perpendiculaires les unes aux autres, cependant elles ne sont pas larges. Au milieu de la ville est le palais du prince. Ce n’est plus un prince qui l’habite, c’est ce que m’explique ironiquement mon guide, c’est la famille du prince, ses descendants dégénérés. Il récite une épopée: sa chevelure de feu dépassent les chevelures de ses compagnons et son regard glace le cœur de ses ennemis. Le sang divin s’est mélangé, appauvri et il a disparu. Pourtant j’ai vu le jour de mon arrivée le prince sur la place du marché, le prince d’aujourd’hui. Certes il est gras et laid mais la foule touchait sa litière comme elle aurait touché une relique. La rue donne sur un côté du palais, obscure, fermée par les moellons rustiqués du mur.

Des uniformes rouges, égarés, passent tout au bout, dans l’ombre. Et j’entends l’écho de vocables familiers résonner dans le vide. Qui me connaîtrait ne me reconnaîtrait pas sous les haillons qui me couvrent.

L’ombre de la rue est fraîche. Mon compagnon et moi-même sommes vêtus de semblables haillons puants et sa voix résonne. Nous nous approchons du palais. Mon guide parle une langue qui m’est inconnue, je veux dire qui m’est inconnue à moi aujourd’hui, et pourtant je comprends sans mal tout ce qu’il me dit. Son discours est plein d’ironie et de haine, plein de mépris. Il dit: c’est une ville pourrie ici, rien de bon ne peut sortir d’une telle ville, ce sont des chiens, les habitants d’une telle ville, des chiens pouilleux et des chiens parfumés, affamés ou gras, hargneux ou lâches. Il parle sans arrêt et je dois être habitué à l’entendre parce que je ne dis rien, je ne hoche même pas la tête ni ne grogne pour signifier que j’écoute, j’écoute pourtant, j’écoute sans rien dire et je marche à côté de lui. Je sens mauvais mais lui plus encore que moi. Voilà où s’arrête mon souvenir.

vaches-oriflammes

Le commentaire était un peu irritant par son lyrisme, « Ces vaches-oriflammes, au ventre gonflé vieux bronze, aux doigts mandragores, aux ongles d’or … », mais les images étaient bouleversantes : il se précipitait auprès des monstres atteints (pachydermes ou reptiles géants, triceratops), pour recueillir leur dernier soupir, le gémissement, la dernière larme coulant de l’œil mordoré, pour désigner à la caméra les pattes si étonnamment déliées, les longs doigts. Lire la suite

Gabriel (septembre)

À son premier réveil, à cause de l’obscurité de la chambre, Gabriel sut que le ciel était couvert. Sa compagne dormait profondément, couchée sur le ventre. L’air était tiède, doux, silencieux. Il se leva, enfila rapidement les jeans et le col roulé qu’il portait la veille et sortit de la chambre.

Lire la suite

retour

Lire la suite