Il ne se passe pas de jour que ne s’entende un bruit de fusillade dans le quartier. Hier sur le chemin du bureau j’ai vu un jeune homme allongé au pied d’un mur, un balle explosive avait ouvert son ventre. Un communiste, je crois. Je me suis penché sur lui et il m’a dit de ne pas rester là, de passer mon chemin. Il avait la tête penchée vers sa blessure et il a dit, sans bouger la tête, « Fous le camp! Ne reste pas là, fous le camp! ». Et comme je me suis éloigné, il a dit calmement, comme pour lui-même : « Je ne souffre pas. » Son ventre était un hachis obscène. Après avoir marché une centaine de mètres, la rue était toute droite et déserte, je me suis retourné, il n’avait pas bougé. Et puis une détonation : son crâne a explosé. Je me suis mis à courir. Je ne sais pas ce que je fuyais : en vérité je n’avais pas peur. Il y avait un militaire devant la porte, je lui ai dit qu’il fallait que j’entre, que je travaillais là mais il n’a rien voulu savoir, de temps à autre des gens sortaient avec des dossiers empilés sur leurs bras qu’ils enfournaient dans des automobiles, j’ai reconnu monsieur Hu. Il m’a dit que je ne devais plus venir ici, qu’on me contacterait. Je lui ai montré le carton que je portais, il a dit « Bien, bien. » et il l’a pris puis il a disparu à l’intérieur du bâtiment. Je n’ai même plus cette raison-là de sortir de chez moi. J’ai failli rentrer par un autre chemin mais je me suis ravisé. La rue était toujours déserte. Le corps avait été enlevé, il y avait deux larges taches de sang, l’une sur le sol, l’autre sur le mur, comme une ombre sans corps. Je suis rentré chez moi où il faisait sombre et tiède (je ne repousse plus les contrevents) et je me suis assis sur le lit, comme j’étais le matin, au milieu de tes lettres où j’ai relu encore. Une détonation s’est faite entendre, un peu lointaine et isolée. Je me suis dit que tout changeait très vite autour de moi et que moi, qui avait si ardemment désiré être au cœur de ce changement, je le subissais maintenant comme un phénomène naturel. J’ai continué à ruminer des pensées de ce genre, assis sur mon lit, et je me suis endormi. J’ai été réveillé par la nièce de ma logeuse qui venait m’apporter mon souper. Elle me tirait d’un rêve profond et je lui ai dit d’entrer sans changer de position. Elle a posé le plateau sur la table basse qui est au pied de mon lit et au lieu de s’en aller elle est restée debout devant moi. Je lui ai demandé ce qu’elle avait et elle a fait un signe du bras vers le milieu de mon corps : il se trouvait que mon érection était visible. Un peu surpris, je lui ai fait signe que je n’avais pas d’argent. Elle a secoué la tête en souriant. C’est une petite putain mais elle est gentille. C’est ce que j’ai pensé la première fois que je l’ai vue. Confusément et sans me sentir concerné. Elle est montée sur le lit et a saisi ma queue par la braguette mal fermée de mon pantalon de coton noir. J’ai été surpris par la volupté de la sensation, comme si du sein même de mon rêve je l’avais attendue, mon sexe l’avait attendue, la peau de mon sexe attendait sa main. Elle a ouvert le pantalon, dénudant mon ventre, le caressant de la main gauche, me masturbant sans maladresse de la main droite. Je la regarde: elle est assise dans ses vêtements, me branle prestement, j’ai un mouvement d’impatience mais non, c’est parfait comme cela, je ferme les yeux et bascule ma tête en arrière. Elle parle en minaudant, je ne comprends pas ce qu’elle dit: elle parle le dialecte des tribus du nord où elle vit lorsqu’elle ne vient pas passer quelques jours chez sa tante, mais je devine qu’elle s’adresse à mon sexe comme à une poupée. Je sens le contact frais de ses joues qu’elle frotte le long de ma queue. Je n’ai pas tardé à jouir et même alors ses mouvements ont parfaitement accompagné mes spasmes. Tandis que je jouissais j’ai un instant ouvert les yeux et redressé la tête pour voir le troisième jet sourdre vertical au-dessus de sa main. Elle souriait, les yeux plissés comme si elle avait craint d’être éclaboussée. Je lui ai lancé un morceau de tissu que je gardais plié près de la tête du lit. J’ai gardé encore quelques secondes les yeux fermés, à sentir les battements de mon cœur et de mon sang. J’ai entendu un petit gloussement et je l’ai sentie se lever du lit. J’ai refermé mon pantalon et je me suis assis au pied du lit pour souper.
Ce matin je me suis réveillé dans un état d’esprit très différent de celui de ces derniers jours. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je trouve de l’argent. J’ai réfléchi aux moyens de le faire, j’ai passé en revue les collègues dont je connaissais l’adresse (il y en a trois) : l’un d’entre eux peut-être pourrait me dire où trouver monsieur Hu. Mais c’est ma logeuse elle-même qui est montée m’apporter mon petit déjeuner. Je lui ai demandé si sa nièce était encore chez elle.
Elle m’a dit qu’elle était retournée hier soir chez ses parents. Parce que j’ai cru discerner quelque mauvaise volonté dans le ton de sa voix, je n’ai pas osé lui demander si elle reviendrait bientôt.