un copiste

Qui d’autre que l’Éternel peut juger ? La vie de chacun est à ses propres yeux chose étrange, dont le sens lui échappe, comment pourrait-il se faire juge de la vie d’autrui ? Je ne me connais pas mais Lui me connaît et ce n’est pas ma connaissance que je dois chercher pour me guider mais Sa connaissance. « Accorde-moi, Seigneur, de suivre tes volontés », voilà le fin mot de toute prière. Quelle présomption que de demander telle ou telle bien au Seigneur, croiras-tu savoir ce qui te convient mieux que Lui ?

Tel qui croit posséder sa vie, qui, croit-il, s’est toujours tenu sur la voie du bien, un jour Il lui envoie un présent incongru qui lui fait comprendre que Lui seul sait, et voilà l’homme de bien, l’homme des certitudes, envoyé sur les routes pleines de danger de pays inconnus. Lui qui se voyait déjà aux portes du Paradis, à cause du désir qu’a fait naître en lui le présent de l’Éternel, le voilà côtoyant l’abîme de la perdition, dans les forêts sauvages, parmi les fauves, le cœur plein de doutes et l’esprit sans cesse en éveil. Lui qui vivait dans la sagesse risque chaque jour la damnation éternelle, n’est assuré d’aucun de ses gestes s’il est agréable au Seigneur ou s’il est péché. Alors il se tourne vers Lui et dit : « Sur tes voies, au milieu des périls, je ne crains rien : accorde-moi, Seigneur, de suivre tes volontés. »

Ai-je suivi les volontés du Seigneur ou me suis-je égaré ? Seul Lui le sait, et, comme son savoir, sa compassion est infinie.

Pendant toute ma vie j’ai copié. Nul mieux que moi, pensais-je, ne sait ce qu’est copier. Copier était ma plus belle prière, chaque jour je traçais les lettres, confit en dévotion, et chaque lettre tracée était un trait de la magnificence divine. Et les traits rassemblés répétaient jour après jour sa louange. Ainsi je vivais dans la présence du Seigneur et lorsque parfois le trouble assaillait mon esprit ou mordait ma chair, je savais qu’à mon banc de copiste je retrouverais la sérénité et que l’encre peu à peu emporterait le trouble avec elle.

Copier était ma forteresse, le refuge contre toutes les tentations de Satan et les dangers du siècle. Et cependant, c’est au milieu de la forteresse, dans la chambre la plus close de son donjon que m’attendait ce qui mettrait fin à ma sûreté, le danger le plus extrême, les angoisses et les doutes, aussi les tentations et les délices du monde.