Les nuits étaient froides et longues, novembre, et la journée d’aujourd’hui il avait plu par longues averses violentes. Depuis le point du jour la radio était allumée, en bas, entre la cuisine et la salle. Le ciel s’était ouvert autour de midi et nous avions mangé dehors. Les pierres de la terrasse restaient mouillées, retenaient de minuscules flaques d’eau et tout autour près des crêtes d’immenses nuages noirs attendaient de se rejoindre et d’occuper à nouveau le ciel. Lire la suite
guerre
dans les ruines
Allongé dans la chambre que je me suis faite au sein des ruines, je fume une cigarette et je regarde la lumière d’un pâle soleil s’épandre sur ma couche. Il a plu tous ces jours-ci et le ciel reste menaçant. Le soleil cependant perce aujourd’hui, quelques longues plages, le plus souvent à travers une nappe blanche de nuages, et ici de plus entre les branches d’un petit arbre qui pousse non loin devant ma fenêtre. Après les fatigues de ces derniers jours (mon arme est posée droite à un angle des murs), ce moment est très doux. Tout affaibli qu’il soit le soleil réchauffe le pan de mur humide. Et je lève la tête vers la voûte au-dessus: ces gens-là savaient vraiment bâtir, nous, barbares, ne saurions pas mais nous aimons vraiment nous installer dans les ruines, nous y aménager un rapide confort. Ma cigarette se termine. Mes doigts étaient trop gourds, hier, pour que je puisse rouler, jusqu’à ce que nous allumions un feu au milieu de l’église.
Soleil de la Loi
Des feux brûlent un peu partout dans le village. Les hommes passent curieusement hagards et noirs. Où est Soleil-de-la-Loi? Je ne les ai jamais vus comme ça et j’ai peur. L’un vient, s’arrête devant moi et me regarde de très près, son nez me touche presque, il dit: Je te reconnais, tu étais avec l’Imposteur. Mes dents claquent. Son visage est luisant de sueur, noir et luisant de sueur. Ses yeux suent la haine: Tu es l’étranger qui est venu avec l’imposteur. Mon maître coupé en deux par le milieu du corps, à coup de haches. Pas d’odeur, son ventre ouvert, purifié par le sang. Je tire le turban. Je dis: ton turban est mal noué, et je tire sur une boucle. Et tout le paquet lui tombe sur les yeux: je prends mes jambes à mon cou. Seigneur, mon maître coupé en deux, ses tripes qui s’étalaient sur le sable, ointes de sang et il ouvrait les mains, ouvrait la bouche et tournait les yeux. Beaucoup de gens pleuraient. L’autre s’est mis à crier mais personne ne l’entend.
Une fumée épaisse monte des bûchers, et une odeur sucrée. Je m’appuie à un mur pour souffler. Si je ne trouve pas Soleil-de-la-Loi très vite je suis mort.
Chine
Il ne se passe pas de jour que ne s’entende un bruit de fusillade dans le quartier. Hier sur le chemin du bureau j’ai vu un jeune homme allongé au pied d’un mur, un balle explosive avait ouvert son ventre. Un communiste, je crois. Je me suis penché sur lui et il m’a dit de ne pas rester là, de passer mon chemin. Il avait la tête penchée vers sa blessure et il a dit, sans bouger la tête, « Fous le camp! Ne reste pas là, fous le camp! ». Et comme je me suis éloigné, il a dit calmement, comme pour lui-même : « Je ne souffre pas. » Lire la suite
galère
vaste pont devant, galère ou pétrolier, ce vaisseau transporte un jardin, voilà, invraisemblable mais c’est ainsi, tapis-paradis de Perse sur l’étendue bleue de la mer, les plus délicates essences et variées
et lorsque la tempête se lève, il faut voir, attention ! faut voir s’agiter les esclaves jardiniers, bruns et maigres, nus, en pagnes comme des couches, s’agiter, courir en tous sens sur le pont, amarrer, relever, ré-amarrer les vasques
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les soldats
Là, entre les casernes et la vieille usine, ils faisaient leurs exercices, sous un ciel gris et bas, ou jouaient au football. Jamais pendant les exercices mais quelquefois pendant qu’ils jouaient, des jeunes filles venaient, en groupes de trois ou quatre, celles qui avaient été leurs amies ou leurs fiancées. Elles les regardaient en silence, elles restaient debout, les doigts dans les mailles du grillage, de ce qui restait de grillage autour du terrain, la tête droite ou penchée. A la mi-temps quelques-uns d’entre eux venaient vers les jeunes filles, contre le grillage. Ils essayaient de rire, de les faire rire, ils parlaient tristement et à voix basse. Elles hochaient doucement la tête et ne restaient pas longtemps.