Les nuits étaient froides et longues, novembre, et la journée d’aujourd’hui il avait plu par longues averses violentes. Depuis le point du jour la radio était allumée, en bas, entre la cuisine et la salle. Le ciel s’était ouvert autour de midi et nous avions mangé dehors. Les pierres de la terrasse restaient mouillées, retenaient de minuscules flaques d’eau et tout autour près des crêtes d’immenses nuages noirs attendaient de se rejoindre et d’occuper à nouveau le ciel. Mais pendant un temps nous sommes restés dans la lumière et l’eau la reflétait partout, sur les feuilles et sur les herbes, la concentrait en petits points étincelants tout autour de nous. Nous nous sommes assis en plein soleil et je me suis senti sécher comme un vêtement qui a été mouillé. Pour un temps nous n’entendions pas la radio. L’après-midi ensuite a été très vite et brutalement comme une nuit. Le ciel était sombre et la pluie s’est remise à tomber. J’ai allumé un feu, pour nous réchauffer et pour chasser l’humidité des murs, et la petite s’est installée sur la table pour reprendre ses devoirs. J’ai eu un peu de mal avec le feu: je n’avais pas rentré les branches avant la pluie et elles étaient trempées. J’ai demandé à la petite si la radio ne la gênait pas, elle m’a répondu: « Non, ne l’éteins pas! ». Je ne l’ai pas éteinte: la petite ne semblait pas gênée, elle travaillait avec concentration sur son cahier et en même temps elle écoutait la radio, de temps à autre elle relevait la tête et écoutait, le bout de son porte-plume entre les lèvres, puis elle se penchait à nouveau sur le cahier. Je la regardais, ou le feu qui brûlait comme il pouvait dans la cheminée, mais l’espace entier de la maison, ces volumes nets et noirs, résonnait des voix, des discours, des slogans ou des voix, féminines et graves presque des voix de jeunes garçons, qui de temps à autre interrompaient les reportages pour quelques nouvelles, qui toutes disaient la montée de la haine, de ce qui apparaissait alors au moins comme l’irréparable, pour nous comme l’irréparable, des tirades relayées par des cris, des proclamations et puis de temps à autre le bruit des armes, les cris, les pleurs, sans arrêt sauf de temps à autre une chanson qui vous brisait le cœur. La nuit, la vraie nuit, toute noire, est finalement tombée, des éclairs bleus et serrés ont illuminé le ciel et la terre, et la radio continuait, plus basse. J’avais remis du bois plus tôt dans la soirée. Nous avions mangé de la soupe. Tout le monde était couché, je suis resté seul avec la radio et le feu. J’ai attendu en regardant le feu puis j’ai recouvert de cendre les braises. J’ai éteint la radio. J’ai regardé les volumes vides et silencieux de la maison. La pluie s’était arrêtée. J’ai cru sentir la paix, l’odeur des cendres chaudes vivantes, des braises le rougeoiment si faible. Je suis monté. Mais dans ma chambre, couché, j’ai allumé le petit poste à transistor posé à côté du lit et j’ai encore fumé une cigarette avant de m’endormir, la radio allumée.
Les prédicateurs et les oliviers dehors dont l’heure arriverait bientôt et l’huile coulerait au moment du solstice, dans la fin de la nuit, dans cette toute fin de nuit et nous sortirions du moulin avec le goût de l’huile verte et de l’ail et du blé à la rencontre du ciel pâlissant et à la maison ça sentira le café, si Dieu le veut bien. Et s’Il ne le veut pas alors ce sera à nouveau comme autrefois, les gros souliers dans la boue, l’odeur des hommes sales, le goût du sang et les oliviers qu’on abat. Entre deux, les voix de mes frères et les prédicateurs et les oliviers dehors qui attendent leur heure sous la pluie.