demeures divines

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Tundla Junction

Tundla junction – 15 mars 1996

Le cyclo-pousse, à Agra, avait voulu que nous repassions par l’échoppe de son « boss ». Lire la suite

Les Américains

Depuis trois jours il fait froid mais je ne m’y habitue pas. Je sors sans rajouter de pull-over sous mon blouson et je grelotte toute la journée. Les autres passent devant la maison et me crient: « Les Américains arrivent…! », j’attrape mon blouson et je sors en courant. Maman crie derrière moi: « Tu as pris une écharpe? », « Oui, oui. » je crie sans avoir l’impression de mentir et plus tard dans la journée je regrette de ne pas lui avoir obéi. Les vieux regardent le ciel et disent que c’est un ciel de neige. Mais non, je ne regrette rien, je n’y pense pas, je serre les mâchoires et j’enfonce mes poings dans les poches du blouson. La moto s’arrête. Robert, il a dit en riant: « Appelez-moi Bob! ». En riant mais plus tard on l’a tous appelé Bob. Robert revient de Limoges où les Américains sont depuis une semaine et il raconte:

« Ils ont des camions qu’ils doivent faire passer d’un bout du camp à l’autre, il y a plusieurs dizaines de mètres entre les deux et il n’y a que deux types pour bouger les camions. Et bien, au lieu de passer la journée à bouger les camions un par un, ou deux par deux, et puis revenir à chaque fois à pied vers les camions restants, un des deux types se met où les camions doivent être garés, l’autre d’où ils doivent être bougés. Il met en route le moteur et puis après que le camion a commencé à avancer, il bloque l’accélérateur avec un quéron et saute du camion. À l’autre bout, son collègue saute dans le camion lorsqu’il arrive, bouge le quéron, va garer le camion et revient attendre le prochain. Ils font ça comme un jeu, en riant, avec adresse et virtuosité, et sans crainte, sans hésitation, des gros camions qui coûtent un paquet d’argent. Il ne leur a pas fallu la matinée pour bouger une vingtaine de camions. Et puis sans cesser de mâcher leurs gommes. Comme j’avais regardé le travail pas mal ébahi, les yeux ronds et la bouche ouverte, celui proche duquel j’étais m’en a lancé un boîte par-dessus la clôture en rigolant. »

Et il nous a montré la petite boîte jaune et rouge. On a voulu qu’il nous en donne mais il a refusé, il a dit qu’il voulait les montrer à la maison, qu’on n’avait qu’à aller à Limoges, au camp américain, qu’ils nous en donneraient sûrement.

dans une messe…

Dans une messe, en deçà des prédications morales et de l’engagement des stratégies vaticanes, en deçà de la liturgie sacrificielle, il y a quelque chose comme une archéologie active. Par son rite dominical, le christianisme replonge ses fidèles dans le bain de ses origines, dans l’ambiance de sa relation inaugurale et passionnée à l’écriture juive, dépôt de l’histoire d’un peuple et de son rapport au divin. Et en cela, malgré la reconduite d’un rite sacrificiel, la cérémonie de la messe ne peut se confondre avec une cérémonie païenne: le rappel des morceaux de l’écriture juive (les Psaumes essentiellement) mais surtout le rappel obstiné des palabres, des polémiques, des circonstances, des élaborations spéculatives de ce moment de l’histoire juive où est né le christianisme, vient encadrer le sacrifice et le relativiser. Comme si ce moment restait la source vive, la raison d’être jamais dépassée du christianisme.

C’est ce qui me saisissait tandis que j’assistais à la messe, aux Abbesses, avec C.. Il y a là quelque chose d’incongru et de fragile, de baroque. Ce rapport maintenu avec un lieu lointain et un moment éloigné de l’histoire, ce retour obstiné sur ce moment et sur ce lieu[1] ne suffisent pas à justifier ce rite mais suffisent à le rendre précieux.

[1] Ce que je retiens de plus vivant des séances de catéchisme sous l’église Saint-Pierre d’Arène, ce sont des images de désert, de palmiers et de chameaux, des images comme on en trouve sur les paquets de dattes, à l’approche de Noël, et chaque dimanche la messe où je servais comme enfant de chœur ramenait l’odeur de l’encens, les parfums de l’Arabie.

La Magnificence

Pour nous c’était cela, la magnificence: les carrosses ornés de volutes dorées, d’angelots et de dauphins, les plumes aux chapeaux des seigneurs et des cavaliers, les lourds chevaux couleur de feu, les carrosses ornés qui descendaient de la cathédrale jusqu’à la marine, les marbres aussi, rouges, jaunes et bleus, qui s’enroulaient autour des colonnes, qui blasonnaient les autels, c’était cela la magnificence, les louanges à Dieu et aux saints, les pompes musicales, pour nous c’était cela et la beauté des dames, la chair offerte et la chair interdite des femmes, l’honneur des hommes et l’honneur des femmes, le sang, la pompe.

Puis les hommes du nord sont arrivés. Nous les avons acclamés parce qu’ils nous ramenaient un roi mais ils ont regardé nos processions, ce qui nous coûtait tant de sueur et tant de sang, ils les ont regardé avec mépris comme un attirail de saltimbanques, fer blanc et carton pâte, les accessoires de notre misère.

Eux dans leurs costumes sombres, avec leurs mines de comptables.

Il me restait à moi l’idée d’une palme, d’une feuille vernie contre la pierre jaune,  l’humidité d’un jardin et le bruit d’une fontaine.

Pluie

J’avais entendu plus tôt dans la nuit cet écho de coups lointains mais je n’y ai d’abord pas fait particulièrement attention, j’ai supposé que c’était E. qui tapait quelque chose en basprès du feu. La pluie s’était mise à tomber vraiment fort. Je me suis réveillé à 3:55 (ou 2:55? je n’avais pas encore mis mon portable à l’heure d’hiver). Envie de pisser. Bandant et avec l’envie de pisser. J’ai pissé et je me suis recouché. À nouveau ces coups, plus forts, ils m’ont empêché de me rendormir. Alors me suis levé, j’ai fait le tour, je suis descendu. J’ai supposé que ce pouvait être la porte de séparation du salon, l’ai ouverte, suis rentré dans la pièce (sombre, où n’était plus E., sombre sauf les reflets de ce qu’il restait de braises vives des deux grosses bûches mises en début de soirée) et j’ai vu l’eau qui avait couvert le sol de l’office et avait débordé jusque dans l’entrée. J’ai pris le balai de pont. J’ai poussé le plus d’eau que j’ai pu par la porte de la cuisine. La pluie s’était calmée mais la queue de la tempête annoncée était arrivée et le vent secouait les arbres. Les chats me regardaient de sous le fauteuil en osier dans la cour. J’ai poussé l’eau dehors comme j’ai pu, pieds nus. Le sol devant la cheminée était chaud et agréable sous les pieds. Pour le reste il ne faisait pas froid. Puis je suis remonté me coucher. La pluie entretemps était revenue, violente et agitée par le vent. J’ai fini par comprendre que les coups que j’entendais sous mon oreiller étaient le bruit fait par un battant de la fenêtre entr’ouverte contre la crémone sous quoi je l’avais coincé. J’ai fermé la fenêtre. La pluie cognait sur les tuiles. J’ai écouté la pluie, dans la diversité du bruit il y avait quelque chose de proche, un impact de goutte proche et j’ai enfin repéré une gouttière, de l’eau que le vent poussait sous les tuiles au-dessus de ma chambre, sous la poutre faîtière, au-dessus du fauteuil. Dans ma hâte à ôter la lampe de sous le goutte-à-goutte, je l’ai faite tomber et son abat-jour en verre a fini de se briser. J’ai arrangé les choses comme j’ai pu, cherché une bassine en bas, etc. et j’ai fumé une cigarette. Le portable a sonné à 7:00, je me suis rendormi (mes morceaux de sommeil de la nuit ont tous été délicieux) et me suis réveillé pour de bon (cela faisait un bon moment que je ne dormais plus profondément) à 9:40. Habillé tout de suite pour prendre la voiture avec l’idée de déjeuner à la Pointe. En bas l’eau était revenue et s’étalait devant la cheminée jusqu’à la salle à manger. E. a pleuré.

embêtés

Je ne pensais pas que les pluies pouvaient être aussi violentes par ici. En un quart d’heure le pays, aussi loin que portait le regard, s’était changé en boue. Le jeune homme jovial qui me servait de chauffeur depuis le chef-lieu parlait en conduisant, je ne voyais plus de route mais lui devait savoir où elle était parce qu’il roulait aussi vite que le pouvait la grosse limousine qui nous avait été assignée. Je ne l’écoutais pas et d’ailleurs le bruit de la pluie et de l’eau sous les roues couvrait ses paroles. Lire la suite

les oliviers

Les nuits étaient froides et longues, novembre, et la journée d’aujourd’hui il avait plu par longues averses violentes. Depuis le point du jour la radio était allumée, en bas, entre la cuisine et la salle. Le ciel s’était ouvert autour de midi et nous avions mangé dehors. Les pierres de la terrasse restaient mouillées, retenaient de minuscules flaques d’eau et tout autour près des crêtes d’immenses nuages noirs attendaient de se rejoindre et d’occuper à nouveau le ciel. Lire la suite

retour de Palerme

Lorsque nous arrivâmes le soleil avait déjà disparu derrière la montagne et le ciel commençait de s’assombrir. La ville nous est apparue par surprise, coincée dans les plis de deux vallées qui se rejoignaient là, entre des pentes rapides et couvertes de sapins. Nous parvinrent des odeurs de bois frais coupé et de sciure mélangées à la fraîcheur qui montait du torrent, nous entendions le grondement continu d’une chute d’eau et au-delà les éclats d’un orphéon.

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Vers Palerme (4/4), approche de Palerme

17:00.- Avons attendu plus d’une heure à Messine, et le wagon s’est à nouveau rempli. Les deux nigauds blonds qui étaient assis de l’autre côté se sont assis en face de moi et puis une bande de jeunes italo-espagnols est venue occuper les places libres. A ma gauche un garçon à bouc, catalan, vient d’offrir un origami mignon à l’une de deux charmantes qui se sont assises de l’autre côté de l’allée, l’une en face de l’autre. Très mignonnes (italiennes, je pense), surtout celle que j’ai en face, en diagonale, blonde, bronzée, yeux noisettes, nez un peu busqué, dents pointues, l’autre: rousse bordeaux, peau très blanche, évidemment.

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