Vers Palerme (4/4), approche de Palerme

17:00.- Avons attendu plus d’une heure à Messine, et le wagon s’est à nouveau rempli. Les deux nigauds blonds qui étaient assis de l’autre côté se sont assis en face de moi et puis une bande de jeunes italo-espagnols est venue occuper les places libres. A ma gauche un garçon à bouc, catalan, vient d’offrir un origami mignon à l’une de deux charmantes qui se sont assises de l’autre côté de l’allée, l’une en face de l’autre. Très mignonnes (italiennes, je pense), surtout celle que j’ai en face, en diagonale, blonde, bronzée, yeux noisettes, nez un peu busqué, dents pointues, l’autre: rousse bordeaux, peau très blanche, évidemment.

Je commence à sentir la fatigue (d’où la raréfaction des notes). Le train suit la côte nord de la Sicile. Je devrais regarder: pas sûr que je repasse par ici, j’ai envie de faire un voyage circulaire et de revenir par Gênes en bateau.

21.08.2000 – vers Palerme – Originally uploaded by cercamon

17:25.- Avons passé Milazzo, avec un petit arrêt. Où passe le train, c’est une zone industrielle d’où montent d’interminables cheminées rouges & blanches, qui sent le souffre et où paissent quelques vaches. La vieille ville est assez élégante, sur un cap qui s’avance loin vers le nord. Je jette un coup d’oeil sur le Guide vert qui m’envoie un petit paquet de références odysséennes: Milazzo est le point de départ pour les îles éoliennes (Eole, donc, aussi les boeufs du Soleil) mais surtout c’est quelque part sur le cap qu’on situerait traditionnellement la grotte de Polyphème.

La blonde a défait ses cheveux et déroulé les jambes de son pantalon, et elle ferme les yeux, plus jolie encore si possible. La rousse parle anglais avec un accent français plus qu’italien à mon oreille, peut-être française, je ne l’ai pas entendue assez parler l’italien. Curieuse équipe. L’ombre descend de la montagne et vient déjà menacer les plages.

Les deux nigauds ne cessent de jouer avec leur cellulaire et de recevoir des appels, évidemment le son poussé au maximum. « Dove siete? »

Avec ses yeux et sa bouche fermés (les dents écartées, lorsque la bouche est entr’ouverte, et les yeux lui donnent un air pointu, un peu sauvage), avec ses cheveux blonds un peu bouclés mais serrés, elle a un air de statue grecque, devient parfaite et trouve parfaitement la position, une jambe passée sur l’accoudoir, la tête appuyée sur l’épaule, la nuque offerte, en extension. Même son petit nez aquilin prend l’harmonie. Les yeux fermés, la bouche close, les couleurs se fondent, le miel et l’or sombre des cheveux, le caramel de la peau, le kaki du top à bretelles. Je la réveillerais presque pour lui demander la permission de la prendre en photo (tu parles!), je me contente de m’accorder quelques secondes de contemplation.

17:50.- Capo d’Orlando. Qui ne devrait son nom qu’à un caprice de Charlemagne en route vers la Terre Sainte. Les deux Catalans causent (l’autre est assis derrière la blonde, contre la fenêtre) et je n’y comprends à peu près rien. Je pense à la façon dont les jeunes prononçaient l’italien dans le TER hier soir, et je me demande ce qu’aurait donné l’occitan s’il avait acquis son autonomie comme langue moderne. Le catalan du Roussillon, à l’oreille, ressemble assez à l’occitan, celui de la Catalogne ibérique pas du tout, sans pour autant ressembler au castillan. Très rapide, bouffé, arrondi.

Pas encore noté que les paysages siciliens qui se déroulent par la fenêtre du train ne ressemblent pas à ceux de l’Italie du sud. Aucune familiarité ligure ici. Et je les trouve très beaux, ces paysages, verts, des vergers d’agrumes serrés, qui font presque l’effet des vignes romaines, séparés par des haies de cyprès où monte une sorte de liane à grandes feuilles et fleurs mauves, des cannes (comme partout), des eucalyptus et les montagnes juste derrière plantées d’oliviers, vertes encore, des villes perchées, impressionnantes.

(Tout à l’heure elle s’est levée, découvrant son nombril, parfait, ventre parfait, il fallait s’y attendre, un peu rebondi, à peine, musclé, le nombril sculpté avec une demi-lèvre ronde, duvet blond…)

18:30.- San Fratello: un joli palais rose, aux encadrements baroques, finit de tomber en ruines. Des oliviers monstrueux: massifs, hauts, larges, touffus, serrés, lourds.

19:15.-

Lo sai, tu, cosa ti ha dato il ciel?
Lo sai che maschi possono uccidere per ciò
che t’hanno dato i celesti, lo sai?
Hai uddito la storia d’Elena poverella
chi credeva soltanto d’avere
qualcosa di più delle compagne
e che ha fatto morire un mondo intero?

20:00.- Le train a pris du retard. 19:30 à Cefalù… Enfin nous arrivons, avec la nuit qui est en train de tomber très vite. Le coucher du soleil a illuminé des montagnes très belles au-dessus de Cefalù, ravinées, dessinées, d’une lumière rose et une longue croupe noire sous ces sommets roses-mauves, toute noire, couverte je suppose d’une forêt continue et très grande de chênes.

La belle s’est endormie pour de bon, sa bouche fait un ourlet, entrouverte sur les deux incisives écartées, dort profondément enfoncées sur ses coudes, plastiquement moins émouvante mais j’imagine le souffle au passage de ces lèvres.

L’hôtel est à l’autre bout de la ville, j’aurais pu m’en rendre compte avant.