Ton visage est un écroulement

Si je levais sans cesse mes yeux, si j’envoyais sans cesse mes yeux à droite à gauche, c’était moins par crainte de manquer son apparition que pour la susciter.

Ton visage est un écroulement, c’est pourquoi j’aime ton visage et pourquoi je défaille en sa présence. Il est comme l’écroulement de hautes colonnades, non pour se précipiter à terre mais pour basculer dans le vide.

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Pourquoi ce ciel d’orage à ton approche

Pourquoi ce ciel d’orage à ton approche et pourquoi ce roulement de tonnerre? Qu’est-ce qui fait pencher la terre devant ton pas? Pourquoi cet assourdissement et pourquoi ton visage ne déchire-t-il que moi? Ceux-là autour, ne viens-je pas tout juste de les voir s’enfuir en levant les bras ? Ne les ai-je pas aperçus comme des animaux timides se cacher vite? Or l’instant d’après tandis que je reprends souffle, éperdu comme le naufragé, je dois les voir vaquant comme ils étaient lorsqu’on ne faisait que t’attendre. Quelle terrible nécessité les force à cette comédie?

Ce ciel noir, pourquoi à ton approche? et ce roulement de tonnerre, pourquoi?

Pâle soleil de printemps

Pâle soleil de printemps et la montagne
s’effondre envoie des pierres en
pluie tout autour de la véranda
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Villefranche

C’était un matin de soleil. Le soleil pénétrait bien avant dans la chambre. Après plusieurs jours de mauvais temps. J’avais paressé au lit. J’attrapai un caleçon à terre. Le soleil me paraissait accusateur.

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Céramique

Colonnettes trop minces et deux tons de bleu. Clair. Du sang arabe. Et des carreaux en plinthe sous la fenêtre. Du Delft.

Les hommes déposaient leurs fusils à l’entrée, on amenait les poissons géants du fleuve, roses et bleus, décorés de mayonnaise, l’arête dorsale dressée comme un éventail de céramique.

couchant (les découvreurs)

La côte orientale de la grande île. Et c’était au fond d’un fjord (comme l’on sait, le profond creusement en U d’une vallée glaciaire qu’à l’occasion de l’enfoncement de la terre la mer est venue emplir, s’enfonçant parfois très loin dans l’intérieur du continent).

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Gabriel

Il le regardait et n’était pas sûr de ce qu’il voyait. Il avait neigé de gros flocons mous vers le matin. Les masses de nuées noires et compactes dérivaient à présent vers l’intérieur. Et le premier rayon de soleil traversa le double vitrage. Une sonate de Scarlatti passait à la radio, comme tous les matins à cette heure-ci, depuis leur arrivée du moins.

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Sichuan

Nous avons passé plusieurs mois dans le froid, l’obscurité, l’engourdissement et l’inquiétude. Au milieu du continent, loin de tout, à travers des montagnes sèches et des terres grises. Des avions bondés, brinquebalants, trains puants, des femmes cachées dans des châles rouges ou noirs, des hommes avec le couteau à la ceinture. Avec toujours le souci de notre bagage. Nous avons dormi dans des salles communes, des dortoirs, nous avons dormi dans des salles d’attente agglutinés avec les autres près du poêle de fonte, sous la lumière jaune des lampes à pétrole dans des auberges de bois clair.

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une vallée

Comme un sac placentaire ou comme un poumon la vallée est accrochée au village qui en surveille la bouche. Mais toute la vallée dans un cristal, prise dans l’air de ses crêtes, toute la vallée est dans une limite précise et idéale. Et plusieurs de ces villages qui dominent, de formes nettes, les routes, ils ont auprès d’eux la respiration et le monde. Le cercle du jugement, le profond comme le clair. Et l’idée est le regard de l’unique, l’enthousiasme saint.

L’obscur et la lumière une fois encore se composent, où l’air est comme une gelée traversée d’or, dessinée d’or fin, et les branches arrêtées.

Mais chaque divine bête, chaque vie miraculeuse, chaque monstre qui tremble ici, chaque divine bête, la grande au souffle rauque et dont le dos se plisse d’une volonté de routes tendues, un regard est au-dessus d’elle qui la pèse. Ainsi devant mes pieds des trous d’ombre s’ouvrent, des voies impossibles, et même si de loin la nuit régit ma course, la journée d’automne est comme une journée de printemps. Parce que l’hiver s’annonce comme un pardon et que ce n’est plus la mort mais la vue seule.

Ces chemins sont mes bronches et mes pieds sont mes yeux, le ciel tout entier est mon œil et le soleil ma pupille. Moi, l’arpenteur, ai sur le dos un chevalet mental, mon gnomon, mon moyen de transport. Cette seule journée a la figure d’une vie entière.

J’ai rêvé cette nuit de la montagne comme d’un palais immense à forme de montagne, tout entouré de néant et de nuit. Quoi, dans ce rêve, refuse et s’acharne? Chaque rocher une chambre, chaque falaise une salle et chaque pierre un degré. Étagées sur la pente, aveugles et têtues, complètes et bornées, combien de vies?

Giovanna

l’herbe épaisse et tendre
un plan et un soleil qui semble neuf et l’arc
tendu d’un arbre en fleurs
aussi une ombre mélangée un tamis de lumière
je m’étonne
une annonce
à nouveau ?

mais

Giovanna Giovanna ton pas
glisse à nouveau sur la dalle ou le pré émaillé
Giovanna pauvre ombre, pauvre et belle, belle et pauvre lumière
retournerais-tu ?
ton pas glisse ton pied nu
dédaigne, innocente, pierre aiguë, épine, branche et serpent glisse comme ce nuage bientôt noir là-haut
le village que le soleil fait luire comme une vieille armure
le village rose et gris glisse sur le plan d’herbe et le versant opaque et noir comme sont les cyprès et ton profil qui se perd. Est-ce ça
qu’il m’en faut entendre, que les amis d’où tu viens se lassent de m’attendre ?
se dissipent peu à peu se dispersent et s’en vont
parce que je ne sais plus peindre