Noh (Ezra Pound 1916)

Mais la gloire du monde n’a qu’un temps. Elle vient en son temps, souffle et s’enfuit.

Ainsi pour lui.

Cherchant un endroit où vivre, il alla vers Azuma, voyageant comme un morceau de nuage. Il posa le regard sur les vagues de la mer à Ise et dolent il songea à son année de gloire : « Pourquoi les vagues, les brisants reviennent-ils ? »

Ainsi pensif il se tenait au pied d’Asama et il voyait la fumée du soir s’enrouler dans le ciel.

Prescott (AR)

C’est juste une question de distance, dit-il, de juste distance … L’autre ne l’écoute pas, il est assis en face, regarde le verre de soda qu’il tient entre ses doigts, le bout de ses doigts. Pénible. C’est une question de distance. Voilà : « juste distance », juste n’est pas l’important. L’important, c’est distance. L’autre le regarde, regarde son verre puis lève les yeux et le regarde. C’est l’Amérique du nord.

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Clôture (prétexte à itinéraire)

C’est une journée de printemps, fraîche et ensoleillée, des plages d’ombre passent sur le paysage. La clôture peinte en blanc découpe un rectangle de pelouse autour de la maison. Un rectangle de pelouse pendu au-dessus des brisées d’écumes et des écueils, sur le bord des falaises noires, au-dessus de la mer où des oiseaux blancs aux longues ailes s’immobilisent comme accrochés par le vertige. Lire la suite

petit pays

C’est un vieux pays mais qui est comme s’il n’était pas né, c’est un pays dans les limbes, depuis des siècles. Et voyez l’espace, la géographie: c’est un petit pays au milieu de grands pays, ouvert de ses trois côtés à ces grands pays (un côté de plaines minières, usines et sidérurgie, un côté fait d’une vallée et coteaux et vignes, un côté de forêts, collines, genêts, pauvre, froid et sauvage). Et ces pays ont connu les guerres civiles et les révolutions, ils se sont donnés l’un à l’autre la guerre; ces guerres sont passées à travers notre petit pays et l’ont meurtri, atrocement parfois, sans le changer. Lire la suite

arbres

(Je parle de villes mais ne les nomme pas
le fracas d’orage des roues annonçait entre les hauts murs
des rues sans trottoir l’arrivée d’un véhicule
et il faisait froid encore dans l’ombre des rues même si
le ciel en haut mais il fallait lever les yeux
le ciel en haut limpide et bleu)

L’été finit, ce que je ne pensais pas revoir
de certains érables déjà les feuilles
jaunissent ou roussissent dans les quartiers ouest de la ville
devant les maisons sur certains arbres
les pointes des feuilles déjà doucement s’embrasent
je m’en vais et indifférents les arbres
comptent et mesurent et doucement s’embrasent
au moment fixé par leur calcul
chacun calculant pour son compte
le calcul de chacun
les arbres, l’un à côté de l’autre, chacun
fait son calcul les oiseaux comptent aussi et mesurent
chacun selon son espèce frémit et s’apprête ou s’élance
vers le sud, où fleurit le citron les arbres chacun selon son calcul l’oiseau de l’oeil perçoit le
frémissement de son voisin

La nuit arrive tôt, la nuit est froide
je referme les petits carrés de fenêtre que je laissais ouverts
jour et nuit la pluie est froide les
mouches reviennent mourir dans la cabane de bois qui protège mon entrée,
en haut de l’escalier. Et moi je ne sais pas calculer, il me
faut tous les indices et je ne peux me persuader que
l’été finit je sais que je m’en vais, à peine

Cabane

1.

Elle dormait. J’étais sorti marcher devant la cabane sous les étoiles. J’avais la tête vide et froide, claire comme la nuit. Pour la première fois depuis des jours. La nuit était froide.

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Paysans

Je suis dans ce pays de paysans (mais qui n’en sont plus et qui lorsqu’ils l’étaient n’avaient pour paganisme que l’Église ou la sourde résistance à sa discipline – et le goût du « bois », de la forêt) avec mon souvenir de ces jours qui viennent de finir, mon souvenir d’elle. Lire la suite

chariots

Nous avons longtemps cheminé au fond des gorges. Les chariots amenaient l’odeur du bois et l’odeur du lin.

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religion

Ceux qui venaient d’ailleurs pouvaient n’avoir pas de religion, souvent n’avaient pas de religion. On avait fini par l’accepter et on ne se posait plus de question à ce sujet. Aussi que lui n’eût pas de religion, ça ne semblait pas faire problème. Il n’avait pas de religion, ça ne lui avait jamais non plus posé de problème: dans son milieu d’origine on n’avait pas de religion et on n’en était pas plus mauvais pour autant. Et il n’avait jamais réfléchi au sujet de la religion, jusqu’à ce qu’il vienne dans cette petite ville.

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Jeudi saint (journal)

Jeudi saint, 28 mars 1986: Je me suis dit qu’aujourd’hui D. ne viendrait pas (…) J’ai failli retourner diner° à la maison: j’avais oublié mon portefeuille dans le vieux pantalon. Oui, la veille au soir j’ai acheté une paire de Levis chez Zeller’s, Lire la suite