C’est un vieux pays mais qui est comme s’il n’était pas né, c’est un pays dans les limbes, depuis des siècles. Et voyez l’espace, la géographie: c’est un petit pays au milieu de grands pays, ouvert de ses trois côtés à ces grands pays (un côté de plaines minières, usines et sidérurgie, un côté fait d’une vallée et coteaux et vignes, un côté de forêts, collines, genêts, pauvre, froid et sauvage). Et ces pays ont connu les guerres civiles et les révolutions, ils se sont donnés l’un à l’autre la guerre; ces guerres sont passées à travers notre petit pays et l’ont meurtri, atrocement parfois, sans le changer. Et maintenant l’été finit, le ciel est bleu mais les maisons sont dans la brume, les toits noirs dont les silhouettes ont forme de trapèze se détachent sur l’air scintillant et argenté, et les feuillages ronds des arbres sont d’un vert très doux, un peu illuminé par le vert plus tendre des prés. C’est la fin de l’été, les nuits sont froides. Et le soleil décline. Et les ramures sphériques de certains arbres déjà se piquent comme de rouille d’un seul côté. Et le vieux petit pays s’apprête à entrer une fois de plus dans l’hiver.
Dans les faubourgs, au matin, on se hâte. Les faubourgs sont des vallées, comme les branches d’un arbre souple ou les bras d’une pieuvre, qui s’éloignent du centre de la ville vers les forts et les champs. Des vallées sans eau ou presque sans eau, où c’est la route qui court au fond, des vallons entaillés dans le plateau, des maisons grises et jaunes en deux rangées au fond, deux rangées de part et d’autre de la route, des ruelles perpendiculaires à la route et, plus rarement, une ruelle parallèle et d’autres maisons plus petites à demi accrochées sur la pente, la route au fond du vallon dominées par des bois et des champs, des champs en éteules bientôt labourés. Dans les faubourgs le matin les enfants se hâtent vers l’école, le nez rouge, sur leurs bicyclettes ou qui s’aggroupent à l’arrêt de l’autobus, dans des vêtements neufs, une écharpe vive nouée autour du cou, dans la brume. Dans les automobiles, modernes et propres, des hommes fument leur première cigarette, ils ont le goût du café encore dans la bouche et la fumée de leur cigarette répond à la brume.
Dans les faubourgs les enfants partent vers l’école. L’été est fini.
Tout est neuf, la classe n’est pas usée, et voilà comme la vie devrait toujours leur apparaître, comme la classe au début de l’automne, les couleurs des cahiers neufs, le pantalon qui pique, tous les espoirs sont permis et toutes les craintes, le petit homme a un nouvel être à créer. Une année renaît tandis qu’une autre décline.
Je dors.
Je dormais puis je me suis réveillé. La fenêtre de la cuisine donne sur le vallon. La matinée n’était pas très avancée, la brume pas encore levée et un soleil doré passait à travers.
Je me suis assis dans le lit et je pensais à elle. Je pensais à ses fesses, à ses hanches, à son sourire et à sa voix pendant l’amour, je pensais à ce qu’elle m’a dit au téléphone la veille. Je pensais à son corps contre moi au moment de m’endormir, à son bras sur mon épaule, son pubis contre ma fesse au moment de l’endormissement. Je pensais à son corps et à son sourire pendant l’amour et comme elle répétait mon prénom. Assis seul dans le lit.