Paysans

Je suis dans ce pays de paysans (mais qui n’en sont plus et qui lorsqu’ils l’étaient n’avaient pour paganisme que l’Église ou la sourde résistance à sa discipline – et le goût du « bois », de la forêt) avec mon souvenir de ces jours qui viennent de finir, mon souvenir d’elle. Plus de rhétorique, la douceur de ce souvenir et comme il me prend et m’enveloppe, me dit combien elle est entrée dans ma vie. Le souvenir de son visage sur l’oreiller, à côté de moi, dans le seul éclairage des deux panneaux lumineux, « Coca-Cola » et « Dépanneur-boulangerie de la Pointe », sur la potence neuve d’acier noir pas encore peint, dehors, qui filtre à travers les battements du rideau de matière plastique blanche. Les autos qui crissent et qui démarrent. Le claquement de la nouvelle porte du magasin en-dessous, plus amorti et sourd que celui de l’ancienne (elle sursautait comme si son mari avait dans le vestibule, ici, en haut de l’escalier, et me demandait si j’avais fermé à clef). La conversation des hommes dans leur patois de paysans français d’Amérique, par bribes étouffées à travers les parois de bois ou claire, aigüe venant de devant la façade de la maison dans la nuit. C’est la fin de juillet, les nuits sont à nouveau fraîches après peu de jours de vrai chaleur estivale. 10°C.

Le blé est vert dans les champs, bientôt je rentre en Europe mais pour l’instant je suis à demi allongé sur le canapé dans la pièce de façade, au nord du continent américain et la vie américaine passe devant, son écho à travers l’imposte de la fenêtre, et je lis Pavese.