C’est juste une question de distance, dit-il, de juste distance … L’autre ne l’écoute pas, il est assis en face, regarde le verre de soda qu’il tient entre ses doigts, le bout de ses doigts. Pénible. C’est une question de distance. Voilà : « juste distance », juste n’est pas l’important. L’important, c’est distance. L’autre le regarde, regarde son verre puis lève les yeux et le regarde. C’est l’Amérique du nord.
Ils ont à peu près le même âge mais celui qui parle semble plus vieux parce qu’il est plus gris et qu’il porte un costume, clair, et une cravate tandis que celui qui écoute mal est habillé comme s’habillent les collégiens, comme presque tout le monde: des blue-jeans et un tricot de coton. Lui-même, celui qui ne dit rien, l’a remarqué tout à l’heure.
Il y a le comptoir, les rouleaux à la cannelle.
il y a le comptoir, les rouleaux à la cannelle sous une cloche de plexiglas, la table rectangulaire et les deux banquettes et dehors la place de l’Hôtel de Ville dans la lumière d’une journée de septembre un peu fraîche.
Celui qui ne dit rien voudrait écouter celui qui parle mais il n’y arrive pas, c’est une véritable torture. C’est ce qu’il se dit: une véritable torture, mais ce n’est pas tout à fait vrai: l’autre, celui qui parle, ne partage pas son malaise.
D’une certaine façon, c’est pire: ça ne risque pas de s’arranger, il est fou, foutu, largué, débranché. Tout à l’heure il va retourner dans sa quincaillerie se prendre pour Zarathoustra en attente de son déclin entre son aigle et son serpent de tôle étamée. Que racontait-il hier? Oui, emblèmes: seaux, râteaux et tuyaux vert pomme en rouleaux, vert pomme et une ligne rouge. Irréel le magasin, comme ce comptoir avec ses tabourets, sortis tout droit d’un âge héroïque et beau, plein de reflets d’acier.