Je les voyais presque tous les jours, assis à la même table du café, comme en vitrine, elle assise le dos à la rue et lui en face d’elle. Ils se parlaient les yeux dans les yeux, à voix basse, penchés l’un vers l’autre, lui assis le cul sur le bord de sa chaise, et lorsqu’elle baissait le regard vers sa tasse de café, il se penchait encore plus vers elle et de sa main droite lui prenait sa main gauche, sans cesser de parler. Ou bien parfois se tenant les mains par dessus la table ils se taisaient, appuyés sur les coudes, très proches, elle, regardait devant elle et lui sur le côté vers la rue, d’un regard qui ne voyait rien.
Auteur : cercamon
Alice
Elle est assise dans le canapé, au milieu, elle lit les Contes de Perrault. La porte de la pièce du fond est fermée. Son père n’a rien dit lorsqu’il s’y est enfermé, ce n’était pas la peine : Alice sait que lorsqu’il ferme cette porte derrière lui, il ne faut pas le déranger.
ville
Les rues sont droites et perpendiculaires les unes aux autres, cependant elles ne sont pas larges. Au milieu de la ville est le palais du prince. Ce n’est plus un prince qui l’habite, c’est ce que m’explique ironiquement mon guide, c’est la famille du prince, ses descendants dégénérés. Il récite une épopée: sa chevelure de feu dépassent les chevelures de ses compagnons et son regard glace le cœur de ses ennemis. Le sang divin s’est mélangé, appauvri et il a disparu. Pourtant j’ai vu le jour de mon arrivée le prince sur la place du marché, le prince d’aujourd’hui. Certes il est gras et laid mais la foule touchait sa litière comme elle aurait touché une relique. La rue donne sur un côté du palais, obscure, fermée par les moellons rustiqués du mur.
Des uniformes rouges, égarés, passent tout au bout, dans l’ombre. Et j’entends l’écho de vocables familiers résonner dans le vide. Qui me connaîtrait ne me reconnaîtrait pas sous les haillons qui me couvrent.
L’ombre de la rue est fraîche. Mon compagnon et moi-même sommes vêtus de semblables haillons puants et sa voix résonne. Nous nous approchons du palais. Mon guide parle une langue qui m’est inconnue, je veux dire qui m’est inconnue à moi aujourd’hui, et pourtant je comprends sans mal tout ce qu’il me dit. Son discours est plein d’ironie et de haine, plein de mépris. Il dit: c’est une ville pourrie ici, rien de bon ne peut sortir d’une telle ville, ce sont des chiens, les habitants d’une telle ville, des chiens pouilleux et des chiens parfumés, affamés ou gras, hargneux ou lâches. Il parle sans arrêt et je dois être habitué à l’entendre parce que je ne dis rien, je ne hoche même pas la tête ni ne grogne pour signifier que j’écoute, j’écoute pourtant, j’écoute sans rien dire et je marche à côté de lui. Je sens mauvais mais lui plus encore que moi. Voilà où s’arrête mon souvenir.
vaches-oriflammes
Le commentaire était un peu irritant par son lyrisme, « Ces vaches-oriflammes, au ventre gonflé vieux bronze, aux doigts mandragores, aux ongles d’or … », mais les images étaient bouleversantes : il se précipitait auprès des monstres atteints (pachydermes ou reptiles géants, triceratops), pour recueillir leur dernier soupir, le gémissement, la dernière larme coulant de l’œil mordoré, pour désigner à la caméra les pattes si étonnamment déliées, les longs doigts. Lire la suite
Gabriel (septembre)
À son premier réveil, à cause de l’obscurité de la chambre, Gabriel sut que le ciel était couvert. Sa compagne dormait profondément, couchée sur le ventre. L’air était tiède, doux, silencieux. Il se leva, enfila rapidement les jeans et le col roulé qu’il portait la veille et sortit de la chambre.
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retour
le bar sur la plage
Le bar est tout de suite derrière la plage, sur une terrasse de béton. Sur les côtés la terrasse s’efface et les rues du village imperceptiblement commencent par là. Des cannes sèches et foulées, des emballages de confiserie qui ont pris un peu de la couleur du sable. De chaque côté de la plage partent des quais de bois et les bateaux sont rangés contre ces quais.
distances, voie lactée
- Distances … Voie lactée
- Sie gleicht einem ewigen Nebelstreif
- den eine schwache Helle durchschimmert[1]
- Lorsque du haut de ces montagnes
- ou sur l’eau lisse par une nuit sans lune
- Le monde est plein de dieux
- et il n’est de sens que moral
Cimiez
Des nuées d’enfants sous les oliviers. Brume d’été qui monte de la mer déjà. L’odeur de l’herbe. Sifflets. Les voix, cris d’enfants en nuées aussi. Et les travaux de l’autre côté du parc font un bruit de port.
jardins minéraux
le soleil est chaud mais le vent
agite les feuilles des orangers
derrière la vitre sous le froissement
des palmes leur mouvement a
le son métallique des jardins anciens Lire la suite