impur

Je suis gros. Chaque matin je vais acheter un paquet de cigarettes et une boite d’allumettes. Mon premier paquet de cigarettes. Je vais acheter mon premier paquet de cigarettes à l’épicerie au coin de la petite rue qui monte de ma pension au centre de la ville. Je suis gros, blanc et plutôt sale. Impur, depuis le moment où je m’éveille jusqu’au moment où je me couche je porte sur moi la sensation de mon impureté, et encore mes rêves sont-ils tissés d’impureté. Je vis avec ça, j’ai appris à vivre avec ça. Je veux dire que je le supporte assez bien. C’est ainsi que je suis, je ne peux pas ne pas m’embarbouiller d’impureté, à chacun de mes actes.

Je suis gros et blanc et je vis une vie absurde. A peine éveillé je vais par la petite rue en pente chercher mon premier paquet de cigarettes. Je n’ai plus de cigarettes, je ne m’endors jamais avant d’avoir fumé ma dernière cigarette. J’achète mon premier paquet de cigarettes. Parfois j’allume alors ma première cigarette mais généralement je n’ouvre pas encore le paquet. Je vais jusqu’à une taverne, je bois un café et je mange une pâtisserie ou deux puis j’ouvre le paquet et j’allume une cigarette. Ensuite je rentre à l’hôtel.

La rue que je prends chaque matin d’abord descend un peu puis remonte assez nettement jusqu’à un carrefour. Où elle s’infléchit ainsi, la rangée de constructions qui la sépare de la rive du lac s’interrompt pour laisser une ruelle descendre jusqu’à un petit quai à demi ombragé par un figuier.

Chaque matin en passant, sans m’arrêter, je jette un coup d’œil vers les hommes qui se baignent là. Comme l’ouverture n’est pas très large, la vue prise en passant me fait comme un instantané. Des enfants plongent et nagent en riant dans l’eau trouble, des hommes maigres et musclés font des exercices gymniques sur le quai, nagent méthodiquement ou nettoient bruyamment leurs fosses nasales, raclent le fond de leur gorge, soufflent énergiquement l’eau d’une narine à l’autre; quant aux vieux, à l’heure où je passe, il y a déjà longtemps qu’ils ont fait leurs ablutions, tout juste si parfois il en reste un ou deux, debout dans l’eau boueuse jusqu’aux cuisses, concentrés, tête en avant, le linge mouillé collé à leurs fesses maigres, des reflets clairs sur leurs ventres ballonnés.

Ce ne sont cependant ni ma saleté, d’ailleurs pas excessive, ni leur propreté qui me rendent impur. Ce serait plutôt mon savoir, le savoir qui me désoriente, mon savoir et ma solitude.

Aujourd’hui il pleut, j’ai fumé ma cigarette sous l’auvent de la taverne, assis sur les marches. Lorsque j’ai été rendu dans ma chambre, mon pyjama était tout maculé de boue.

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