Finalement les choses se sont passées plus vite que je ne le pensais, je n’ai pas eu cette longue période d’attente avant l’intervention comme lors de la coloscopie d’il y a deux ans. Par contre la période de réveil a été peu agréable, la période dans la salle de réveil, pas du tout cette impression de me réveiller d’une sieste que j’avais eue il y a deux ans: mal au genou, impossible de le déplacer, impression d’insomnie, c’est-à-dire au bord du sommeil sans y tomber, je pensais, prêt à le dire si l’on me posait la question: « pénible, froid et je m’ennuie », on m’a finalement posé la question, juste avant de me ramener à ma chambre et j’ai pu le dire. À présent ça va mieux, un calmant qui goutte dans le cathéter me procure une légère ivresse qui éloigne mon envie de tabac, la douleur peu à peu se calme, ou du moins est éloignée, tamponnée (mais j’ai un peu peur de déguster dans les jours qui viennent: l’infirmière africaine, d’abord revêche mais sympa à l’usage, m’a parlé tout à l’heure de faire venir une infirmière tous les jours pendant une semaine – parce qu’il y a ça aussi, pendant la conversation, je n’étais pas tout à fait -, et, donc, peu à peu, malgré l’ivresse légère du goutte à goutte mon cerveau revient, ma conscience et la maîtrise de mon flux de pensée, Nu dans le lit, laissé tomber la chemise-qui-se-noue-sur-le-devant. La température est douce dans la chambre, la fenêtre donne sur les beaux immeubles d’en face, beaux immeubles niçois du quartier des musiciens, fenêtre entrouverte, air de printemps. Curieuse et agréable sensation d’être baladé cul nul, le sexe mal couvert par le pan de la chemise, l’infirmière africaine de temps en temps, après avoir badigeonné mon genou de bétadine jaune (et m’avoir complimenté sur mon épilation), réarrange le pan de la chemise pour dissimuler mon sexe à l’autre infirmière, Christine, Kiki, la petite quarantaine, elle aussi, qui a l’air de s’en foutre, on me passe d’un brancard à l’autre, apparemment il y a des zones et à telle zone correspond tel brancard et telle infirmière pour le manœuvrer, je change donc de brancard en arrivant en zone opératoire, et d’infirmière, plus jeune et mignonne celle-là, gentille et presque complice, blonde, peau pâle, lunettes, l’air vaguement slave, presse son ventre et son sein furtivement sur mon pied qui dépasse du brancard, une autre, jolie aussi mais plus vieille, l’attend en salle d’opération, re-transfert, du brancard sur la table d’opération. La mignonne me pose des ventouses sur la poitrine pour le contrôle du cœur, elle aussi arrange un pan de la pseudo-chemise sur mon sexe. Une infirmière à la peau brune regarde par dessus une vitre dans la salle d’opération, j’ai une plaisanterie sur le niqab, parce qu’elle porte un masque, que je retiens, mais après c’est bizarre, comme si d’un coup je me retrouvais en salle de réveil, j’avais eu, ça me revient maintenant une sensation analogue il y a deux ans, pas d’une période de rêve mais juste un bout de temps effacé, coupé, comme on fait au montage sur un film, cependant, avec un coefficient de réalité beaucoup plus faible, le visage de l’anesthésiste qui se penche sur moi, qui dit quelque chose comme « je suis votre anesthésiste, vous me reconnaissez? » avec son accent polonais mais pas de souvenir du masque à oxygène ni du décompte. Le moment pénible ensuite, c’est le long temps dans la salle de réveil, il y a quelqu’un à ma gauche, une femme aux cheveux noirs et à la peau jaune, peut-être je lui parle mais en tous cas rien de cohérent: «pénible (douloureux, combien de temps cela va-t-il durer?), froid (je n’aurais pas dû sortir mes épaules de l’espèce de couette dont ils m’ont couvert) et je m’ennuie, ah, je m’ennuie terriblement et je ne peux pas bouger ce putain de genou, si je pouvais, je me coucherais sur le côté et je me rendormirais, je crois bien, salle de réveil ou pas.» Et puis mon infirmière noire et revenue, et je suis dans cette chambre à l’air doux, avec la rumeur de la rue pas pénible en bas, le reflet d’un soleil presque printanier sur les immeuble en face, la douleur du genou qui semble s’estomper, passé un coup de fil à E. qui passe me prendre vers 13 heures. L’infirmière m’a dit un tas de trucs, sur l’infirmière libérale qui devrait passer une fois par jour pour me faire des piqûres, sur le fait que je devrai marcher sans appui, mais tout cela sur un cerveau encore à moitié pas là, souvenir très incertain. Encore dans un lieu intermédiaire entre la veille et le sommeil, les limbes. Et ce confort d’être nu, à poil, le sexe à l’air pendant tous ces trajets, devant ces femmes, l’une puis l’autre, sans exhibition mais sans pudeur non plus, quelque chose de la sensation, très agréable, que j’avais eu en visitant de temple de Nathwara avec le cousin de Soni, pieds nus sur les sols de marbre, quelque chose aussi des rêves où l’on se promène, en ville, dans la rue, au travail, sans pantalon, mais ici sans la sensation de quelque chose de pas normal, ni l’embarras qui s’en suit.