En arrivant dans cette maison…

En arrivant dans cette maison – je n’y étais encore installé que par un matelas futon posé sur le carrelage de la pièce qui serait ma chambre – je me suis dit que j’emménageais au Paradis sans le mériter, de sorte que je me suis senti l’habiter en étranger, en métèque, autorisé à en jouir des délices que de manière limitée, par tolérance et en fonction du travail que je fournirais à son profit.

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(en remontant)

canards et petits hérons

blancs
sur le lit caillouteux des Paillons
soleil d’avant-printemps

Gentle Rain

Les chauves-souris tournent autour du vieux mûrier, je ne les vois que lorsque leur vol saccadé se détache sur le ciel jaune-vert-gris de cette jeune nuit d’été pluvieuse. Mais je peux entendre le frottement de leurs ailes velues au milieu du feuillage.

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fracas des merles

Au point du jour lorsque le monde est bleu
sous le fracas des merles à gauche à droite ici
au fond de la vallée déjà là-bas
en bas les moteurs grondent et se hâtent
si tôt vers le travail

phares allumés dans le
petit jour comme ruisseaux
vers le fond
de la vallée convergent

Orages (octobre 2009)

Ce matin le pays était tout couvert de brumes chaudes. Je n’ai pas pris la moto, j’ai mis ma veste neuve en velours noir et je suis descendu en voiture. Lire la suite

Pluie

J’avais entendu plus tôt dans la nuit cet écho de coups lointains mais je n’y ai d’abord pas fait particulièrement attention, j’ai supposé que c’était E. qui tapait quelque chose en basprès du feu. La pluie s’était mise à tomber vraiment fort. Je me suis réveillé à 3:55 (ou 2:55? je n’avais pas encore mis mon portable à l’heure d’hiver). Envie de pisser. Bandant et avec l’envie de pisser. J’ai pissé et je me suis recouché. À nouveau ces coups, plus forts, ils m’ont empêché de me rendormir. Alors me suis levé, j’ai fait le tour, je suis descendu. J’ai supposé que ce pouvait être la porte de séparation du salon, l’ai ouverte, suis rentré dans la pièce (sombre, où n’était plus E., sombre sauf les reflets de ce qu’il restait de braises vives des deux grosses bûches mises en début de soirée) et j’ai vu l’eau qui avait couvert le sol de l’office et avait débordé jusque dans l’entrée. J’ai pris le balai de pont. J’ai poussé le plus d’eau que j’ai pu par la porte de la cuisine. La pluie s’était calmée mais la queue de la tempête annoncée était arrivée et le vent secouait les arbres. Les chats me regardaient de sous le fauteuil en osier dans la cour. J’ai poussé l’eau dehors comme j’ai pu, pieds nus. Le sol devant la cheminée était chaud et agréable sous les pieds. Pour le reste il ne faisait pas froid. Puis je suis remonté me coucher. La pluie entretemps était revenue, violente et agitée par le vent. J’ai fini par comprendre que les coups que j’entendais sous mon oreiller étaient le bruit fait par un battant de la fenêtre entr’ouverte contre la crémone sous quoi je l’avais coincé. J’ai fermé la fenêtre. La pluie cognait sur les tuiles. J’ai écouté la pluie, dans la diversité du bruit il y avait quelque chose de proche, un impact de goutte proche et j’ai enfin repéré une gouttière, de l’eau que le vent poussait sous les tuiles au-dessus de ma chambre, sous la poutre faîtière, au-dessus du fauteuil. Dans ma hâte à ôter la lampe de sous le goutte-à-goutte, je l’ai faite tomber et son abat-jour en verre a fini de se briser. J’ai arrangé les choses comme j’ai pu, cherché une bassine en bas, etc. et j’ai fumé une cigarette. Le portable a sonné à 7:00, je me suis rendormi (mes morceaux de sommeil de la nuit ont tous été délicieux) et me suis réveillé pour de bon (cela faisait un bon moment que je ne dormais plus profondément) à 9:40. Habillé tout de suite pour prendre la voiture avec l’idée de déjeuner à la Pointe. En bas l’eau était revenue et s’étalait devant la cheminée jusqu’à la salle à manger. E. a pleuré.

les oliviers

Les nuits étaient froides et longues, novembre, et la journée d’aujourd’hui il avait plu par longues averses violentes. Depuis le point du jour la radio était allumée, en bas, entre la cuisine et la salle. Le ciel s’était ouvert autour de midi et nous avions mangé dehors. Les pierres de la terrasse restaient mouillées, retenaient de minuscules flaques d’eau et tout autour près des crêtes d’immenses nuages noirs attendaient de se rejoindre et d’occuper à nouveau le ciel. Lire la suite

dans les ruines

Allongé dans la chambre que je me suis faite au sein des ruines, je fume une cigarette et je regarde la lumière d’un pâle soleil s’épandre sur ma couche. Il a plu tous ces jours-ci et le ciel reste menaçant. Le soleil cependant perce aujourd’hui, quelques longues plages, le plus souvent à travers une nappe blanche de nuages, et ici de plus entre les branches d’un petit arbre qui pousse non loin devant ma fenêtre. Après les fatigues de ces derniers jours (mon arme est posée droite à un angle des murs), ce moment est très doux. Tout affaibli qu’il soit le soleil réchauffe le pan de mur humide. Et je lève la tête vers la voûte au-dessus: ces gens-là savaient vraiment bâtir, nous, barbares, ne saurions pas mais nous aimons vraiment nous installer dans les ruines, nous y aménager un rapide confort. Ma cigarette se termine. Mes doigts étaient trop gourds, hier, pour que je puisse rouler, jusqu’à ce que nous allumions un feu au milieu de l’église.

dit Risso

Quatre étages dit Risso
On n’en sait pas assez
Au bord de la mer il doit y avoir quelqu’arbre
des pins et puis? Il y a les palmiers
non loin derrière les plages plantés
qui pensent à plus loin au-delà
les succulentes, le jardin sous la corniche,
aloès, cactes et la figue de Barbarie.
Et derrière, les aigrures, citrons et oranges
qui sur les trottoirs de Menton
im dunklen Laub glühn
comme des lampions et le kaki
ou plaquemine et le néflier pipa
du Japon pas celui de Belgique.
Et, plus haut, l’étage des arbres de l’Eden,
des terrasses, de l’olivier,
de l’amandier et du figuier
(qu’on m’apporte, disait Épicure,
un petit fromage frais que je fasse bombance)
et le cerisier de l’idylle,
un soir d’été dans un fauteuil de toile
à écouter les oiseaux.
Et, plus haut, où l’homme se retire
sapins, cèdres et mélèzes, etc.,
l’encre et les chemins.
Et plus haut encore, plus haut presque plus rien,
la caillasse, la lune et les lacs nus, ce qui menace.

Rencontre, Halte et Décision

Quelqu’un traverse une forêt de pins, haute futaie sur un sol souple et léger. Le grondement d’un galop rompt le silence. Une jeune troupe apparaît entre les troncs. Ils passent tout près de lui sans le voir, presque nus, les cuisses serrées à même la croupe des chevaux. Ils disparaissent et il repart. Débouchant, il les retrouve au bas d’une clairière, jeunes hommes et jeunes filles, qui s’amusent et dansent. Les chevaux sont attachés près du ruisseau. La ville est sur une colline dans le lointain bleuté. Il s’assied sur une pierre moussue et mange ce qui lui reste de pain et de fromage. Les robes s’entr’ouvraient: des chairs se donnaient à voir dans l’entrebâillement des vêtements.

La ville est sur une colline dans la plaine. Ils sont sortis de la ville au petit matin. Ils ont chevauché dans la plaine, puis comme le soleil montait, pour trouver quelque fraîcheur ils sont allés dans la forêt sur la montagne. Après galoper ils ont choisi une clairière, ont attaché les chevaux près du ruisseau et se sont égaillés dans l’herbe haute. Les jeunes filles allaient dans les buissons environnants chercher des fleurs et des feuilles pour en tresser des guirlandes. Ils ont alors aperçu un homme, en haut de la pente, assis sur une pierre qui semblait manger. Ils avaient là de la nourriture apportée par des serviteurs. Quelqu’un fit un geste du bras pour l’inviter. On lui offrirait des fruits. Il aurait quelque histoire à raconter. Il hésita. Il leur dirait : « je suis un voyageur, loin de sa patrie … »

L’homme s’est assis à la table, sous le rosier. On lui a donné à manger et du vin à boire. « Regarde, dit un homme à un autre, ce front et ces yeux: cet homme est sage, il a vu et sait beaucoup de choses. Parlons-lui! » L’autre acquiesce, alors le premier se lève et s’adresse à l’étranger:

« Notre ville est encore une ville, mais les habitants sont autres qu’ils n’étaient…
Ceux qui auparavant étaient bons sont maintenant mauvais…
Ils se trompent réciproquement et se moquent les uns des autres, n’ayant aucun sens ni du bien, ni du mal…
C’est la richesse que l’on considère; la richesse confond la race… tout est mêlé…
Il n’y a plus ni pères, ni mères, ni enfants, ni frères, ni soeurs…
Nous nous sommes retirés dans les collines, loin du trouble de la ville; et tu nous arrives de la forêt. Qui d’entre nos concitoyens pourrait ramener la concorde? Seul un étranger, un sage comme toi saura nous rendre une juste constitution. »

Tous approuvent et supplient l’homme. L’étranger sourit: « Je sors de la forêt comme un cerf, prenez garde. Je sors de la forêt comme un loup, craignez que je sois le chasseur et vous le gibier. »

« Regardez, déjà le soleil décline derrière les crêtes, au bout de l’allée. Ses derniers rayons dorent le profil des feuilles. Notre vie est comme ce jour, trop brève. »

Reptile au Style, n°7, 1er trimestre 1979