Vers Palerme (2/4), Rome – Naples

Lundi 21 août 2000

8:30.- Dans le train Rome-Palerme, à la sortie de Rome (nous venons de passer une petite station appelée « Divino Amore »).

Je suis maintenant en terra incognita (je veux dire que jusqu’ici je n’étais pas, en dépit de nombreux séjours et visites italiennes, descendu en train ou en voiture plus bas que la Ville).

La campagne romaine garde de son allure: les grosses fermes sur les croupes des collines entourées de pins parasols, même un troupeau de moutons sur une pente en contrebas de la voie mais en même temps quelque chose de suburbain. Des collines doublées par une couche de vignes en hauteur, à un mètre cinquante du sol environ, une couche continue au point qu’il faut y regarder à deux fois. Prochaine étape Naples. J’ai les sinus un peu irrités et je me suis décidé à mettre ma calotte. Un peu d’inquiétude aussi quant à ma réservation d’hôtel, je me demande si je ne me suis pas donné arrivant le 20 au soir et ce serait la raison du coup de fil anonyme reçu d’Italie hier après-midi.

Les vignes en hauteur: comme dans le jeu « Caesar III » que m’a passé Christian R. il y a une paire de mois et que j’ai désinstallé l’autre jour après y avoir beaucoup joué.

Une plaine, des serres, des fumées (Sezze), des maisons assez laides et des montagnes au loin, des crêtes brouillées par la brume (pente à gauche de la voie – je suis assis à droite, dans le sens de la marche). Un canal moussu, terre sombre rougeâtre, un petit héron gris debout sur une iscle de mousse vert pâle.

Un couple assis de l’autre côté de l’allée centrale, elle, est énorme, quelque chose d’asiatique dans le visage et ses cheveux relevés en petite queue de cheval, éclaircis au henné. Elle bourre un petit pain blanc de corned-beef (qu’elle a d’abord goûté directement de la boîte, du bout du couteau), elle l’engloutit ensuite en trois mouvements puis deux brugnons et maintenant ils fument, tous les deux.

(Je n’ai pas mangé hier soir, j’ai bu de la petite bouteille d’eau heureusement placée dans le filet de la couchette. Mais je n’ai pas eu faim. J’avais déjeuné de tranches de pain grillé frottées d’ail et arrosées d’huile d’olive avec une des premières tomates de Co. et un peu du reste de l’omelette d’avant-hier. A Termini déjeuné d’un petit capuccino et d’un pain au chocolat).

9:15.- Retrouvons la mer, petite ville en presqu’île, air blanc, brumeux, pentes brûlées, sèches, oliviers dans les cuvettes. Formia. Les nouveaux toits, en dépassement, la fantaisie que permet le béton.

Des buffles maigres et gris.

10:00.- Napoli. Le centre de Naples s’élève en gratte-ciels comme un downtown de ville américaine.

20.08.2000 – 21.08.2000 – Napoli – Originally uploaded by cercamon

Téléphoné à l’hôtel. Tutto a posto.

Vérifié dans le Michelin. La petite ville aperçue tout à l’heure est Gaeta:

Mi dipartì da Circe che sottrasse
Me più d’un anno là presso a Gaeta,
Prima che sì Enea la nomasse

Deux femmes viennent de s’asseoir en face de moi, une mère et sa fille apparemment. La mère, carrée, inquiète, est muette. La fille a un teint de misère. La mère s’inquiète de la vitre close, de l’air conditionné, fait un signe de croix rapide au moment du départ puis me sourit lorsqu’elle sent l’air frais monter des fentes sous la fenêtre. Un peu plus tard elle se montre curieuse de me voir écrire. Sa fille lui traduit en signes mes réponses, m’offre un cornetto.

Le train est reparti dans l’autre sens, malheureusement, ce qui me met dos à la marche et du côté opposé à la mer.

Torre del Greco, les plus belles maisons sont en ruines. Les toits de tuiles peu à peu cèdent la place aux terrasses.

Le Vésuve, magnifique, vraiment, une église blanche sur une butte devant, couronnée de pins.

10:30.- Hier soir. Ressorti m’appuyer à la fenêtre près des Américaines, pour fumer. Les stations ligures: S.Bartolomeo al mare, pleines de monde, manèges illuminés devant la mer. Des nuages montés de la mer chaude éclaircissent le fond de nuit sur l’horizon. Les deux Américaines causent. Je comprends des bribes lorsque le train s’arrête( Alassio). La brune, qui est près de moi: « The cheepest… », la blonde (qui ressemble à S. sans avoir sa plastique impeccable) confirme. Elles ont plaisanté à propos d’un col de bouteille qui dépassait d’une boîte à ordures jaune perchée sur le quai de la gare d’Alassio. La brune a fait le geste de la prendre, se penchant en allongeant le bras, riant toutes les deux, j’ai entendu la blonde parler de « detox ». Puis je suis retourné sur ma couchette.

Dans la fente horizontale laissée par le rideau au-dessus de ma tête, j’aperçois les épaules de la brune, larges et grasses, bronzées, belles et nues. Puis elles disparaissent, ensemble, reviennent un moment plus tard en tenue de nuit, t-shirt et pantalon mou de coton, la brune qui avait un top à bretelles noir est en blanc et la blonde qui était en top blanc est maintenant en noir. Elles se couchent. Je m’arrange dans le demi sac de couchage bariolé qui  semble-t-il remplace les sacs à viande et couvertures vert et rouge de la SNCF (qui jonchaient le bout de la plage de Vintimille, l’autre jour, où des immigrants s’en sont fait un campement de misère). La brune, qui est à mon niveau, était couchée sur le dos, quelque chose, il m’a semblé dans la pénombre, posé sur son ventre, peut-être un lecteur de disques, la blonde pareillement couchée au-dessus, en face du Chilien.

J’ai dormi, souvent réveillé (par la chaleur lorsque le train s’arrêtait) mais assez bien dormi cependant.

Réveillé à 6:30 à Roma Ostiense. Les immeubles roses. J’ai assez vite extrait mon gros sac Reebok (acheté à Karol Bagh, Dehli).

Je m’en suis voulu d’être parti sans avoir salué mes compagnons de compartiment, tous assez sympathiques. Mais sur le quai, après le capuccino, revu ma voisine brune, debout au milieu de leurs grosses valises. Elle m’a souri, lui ai souri. M’a souri du même sourire qu’elle m’avait deux, trois fois adressé la veille, pas forcé mais maladroit, qui doit d’abord défaire le renfrognement de son joli visage altier et un peu gras, en deux temps. J’ai pensé à Kérouac, à son zèle de faire connaissance, me disant que j’aurais pu engager conversation – si je n’avais craint de me rendre importun. Mais en même temps je me disais que mon désir de parler était beaucoup moindre que celui du voisinage de ses larges épaules brunes.

20.08.2000 – Ventimiglia – Originally uploaded by cercamon

(Photographie: Changement de train à Rome. Beaucoup de jeunes, je crois retour des JMJ qui se sont terminées la veille.)