Belle, couvre ses longues jambes sur le banc du quai d’en face, puis se lève, déplie ses longues et belles jambes, fait trois pas, se rassoit et recouvre à demi ses jambes, ses longues et belles… J’ai laissé mon sac dans la gare, j’ai soif, j’ai marché le long de la route, émerveillé d’un coup de mémoire, le long de la route, soleil et vent. Mais en bas, au carrefour, l’ « Auberge Provençale » était fermée, un chien aboyait derrière les carreaux, invisible dans l’obscurité des salles, j’ai marché encore un peu le long de la route, silos rouillés, hangars, panneaux, automobiles mais rien, décidément, pour le piéton. La silhouette du château de la Garde au loin, au bout d’une petite route pas très droite bordée de pavillons. Je suis revenu vers la gare, dont j’ai reconnu la forme blanche, inconnue et familière, juchée sur le long talus de la voie ferrée; les rames oranges d’un TGV venaient de passer. Je suis revenu vers la gare. Les terrasses fraîches d’un petit jardin, des murets blancs. C’est parce que je me suis mal arrangé que je me retrouve ici à pied tout seul et j’aurai à descendre de la gare de la Ciotat et marcher jusqu’au port. Comme j’aime ça pourtant, marcher seul; je me suis dit: « Le monde est plein de dieux », faute de mieux. Et maintenant je suis assis sur le quai de la gare, les pieds sales au soleil, dans le vent. Les trains de voyageurs laissant un sillon de terreur, le cœur battant. Je me dis que nous aurons connu le train. Nous n’aurons pas connu le cheval mais nous aurons connu le train.
Et arrive cette belle, qui baille, se caresse les cuisses à présent découvertes, se regarde les ongles et me regarde de temps à autre, en face, hélas, regarde mes yeux qu’elle ne voit pas, cachés qu’ils sont par mes Ray-Ban, mais qu’elle devine. Me regarde écrire, de plus en plus. Ah! de l’autre côté de la voie ferrée.