Mala 1

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Plage_Mala_à_Cap_d'ail.jpg

Un été chaud, au ciel pâle, le frère et la sœur descendent sur la plage Mala. Nous descendons un après-midi de juillet qu’il fait très chaud et que l’air est salé avec l’odeur de la mer. On dit de la maison sur le cap, de la maison blanche sur pelouse verte qu’un tourniquet arrose /

Comme nous descendions l’escalier de ciment qui conduit de la route à la plage à travers une végétation épaisse, entre la voie ferrée et la plage, le tronçon de voie entre deux tunnels, sans gare, sinon la maisonnette contre la voie, aux contrevents clos, écaillée et poussiéreuse /

Comme nous descendions l’escalier de ciment à travers la végétation épaisse, presque tropicale, et il y a à gauche du stérile tronçon de voie ferrée, en rectangles juxtaposés, non séparés par des murs ni haies, des jardins de légumes sur un replat contre la voie au bord de la végétation dense qui descend raide à la plage, quelques carrés de jardins avec une ou deux cabanes qui tremblent, j’imagine, au passage des trains mais il y a parmi ces arbres tors et buissons luxuriants toute une population, dans ce sein de verdure, entre la falaise grise et rousse et le promontoire, socle au palace et villas milliardaires, sous la voie des express du Paris-Vintimille, à peine aperçue dans un clignement

un clin d’œil, le bref espace entre deux tunnels, par le voyageur insomniaque ou ennuyé qui est venu une fois de plus s’appuyer contre la fenêtre du couloir pour fumer une cigarette et qui a

et qui a, avec l’insatisfaction et le malaise que causent une allusion à demi comprise ou une inscription à demi déchiffrée et dont, à cause de ça, le sens reste caché ou encore ce qu’on a « sur le bout de la langue », une citation qu’on ne retrouve pas, dont on pense qu’elle conviendrait mais dont la teneur échappe, un fantasme, une délectation qu’on amorçait mais qu’une brève distraction nous a fait perdre et dont il ne reste qu’une impression, une ambiance /

sans doute a remarqué les deux cabanes et la terre sèche des jardins, parfois sous la mer noire dans la lumière de la lune, sur quoi alors viennent filer comme le faisceau d’un projecteur les fenêtres jaunes des voitures et surtout projeter en trapèze renversé dont la base se perd et où se marque son ombre, fantasmagorie sur les accidents du paysage, sous la mer noire et les étoiles

la mer noire et les étoiles et les arbres et buissons, ténèbres mates qui recouvrent la plage, espace, portion de paysage que balaie la lumière jaune et cadrée de la fenêtre du train où en croix les ombres du voyageur et de la barre où il s’appuie se dessinent, à la manière d’un signe, instables pourtant, qu’il a à faire avec ce paysage où sa silhouette se porte, moins comme une image ou un reflet que comme une marque, semblable à celles qu’on imprime sur la croupe du bétail mais au lieu qu’elle s’inscrive dans le cuir et le poil, indélébile sur le corps de l’animal, plus ironiquement elle tremble et fuit, signifiant ainsi au voyageur que le temps lui manque et que si, dans cet appel menaçant mais fugace, allusif, futile, pourrait-il se dire s’il en avait le temps, c’est une dette qu’il sent, il ne pourra l’acquitter, un désir l’assouvir, une occasion, il la manquera – la lumière jaune, index comme un indiscret fera remarquer sur la plage la beauté du corps d’une femme.

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