Clôture (vision)

Elle s’approche très près de lui et il voit sa bouche entr’ouverte et ses lèvres trembler. Elle se hausse sur la pointe de ses pieds nus et murmure tout près de son oreille (et lui, sent le souffle léger en même temps que l’odeur de la chevelure): « Je vous en prie, ne posez pas, surtout ne posez pas vos mains sur moi. J’ai promis. » Elle continue d’une voix essoufflée: « Maintenant regardez-moi, prenez la lampe, regardez-moi. » et sa main lui tend la lampe, leurs visages encore tout proches. Elle se tient droite, un peu raide et ferme les yeux et lui, qui a pris la lampe, tourne la lampe autour d’elle, maintenant au fait de ce qu’il a à faire, sans honte, pour le même désir. Il tourne la lampe autour d’elle, debout devant sa nudité au milieu du palier, lentement, et de tout ses yeux scrute la peau surnaturellement blanche qui reflète la lumière de la lampe, tourne lentement la lampe autour d’elle, tout près de ses épaules, de son dos, de ses seins, de ses épaules, de son ventre et de ses reins. Il tourne la lampe et attache ses yeux, il lit cette peau comme il lirait un livre, en lit les signes, en même temps aspiré dans la présence de ce corps, odeur, chaleur, imperceptible mouvement, soulèvement du flanc, frisson de l’épaule, en même temps retenant l’élan de ses mains, de son propre corps, il lit cette peau blanche, ses signes, ses marques, les tâches qui parsèment ses épaules, le rose des aréoles, la forme du téton, l’ombilic, sur la blancheur lisse du ventre, comme une coupelle pleine d’un breuvage parfumé, et la vallée des lombes, l’arrondi des épaules dont le goût s’imagine sur la peau empêchée de ses mains, cette neige bordée de roses, comme disaient les anciens poètes. Et met un genou à terre, avance le buste, la lampe proche des cuisses de la jeune fille. Elle bouge maintenant, doucement, les yeux toujours clos, caressée par la chaleur de la lampe sur son ventre, sur ses cuisses, sur ses fesses. Son regard à lui agenouillé a pris la chaleur de la lampe, ses yeux à hauteur de la touffe qui a la couleur du feu comme si la flamme de pétrole avait mis là le feu. Il ferme, moins d’un instant, les yeux et se relève, relevant la lampe à hauteur du visage de la jeune fille. Elle ouvre les yeux sous le regard du jeune homme. A ce moment un grognement, ils l’entendent derrière la porte de la chambre du vieil homme. Elle pose un doigt sur ses lèvres. Et derrière la porte la voix difficile et profonde articule, mal, à demi, un prénom, celui de la jeune fille. Elle garde l’index levé entre leurs bouches. Le silence à nouveau, ils restent quelques secondes immobiles, elle, le visage levé vers lui, lui, dans la proximité de sa nudité à elle et de sa chevelure, les yeux dans les yeux et un sourire sur ses lèvres à elle. Et puis elle se hausse à nouveau et avance sa bouche tremblante, il pose ses lèvres sur les siennes doucement, leurs lèvres entr’ouvertes se touchent, il sent le parfum de sa bouche, leurs souffles (juste leurs souffles) se mêlent. Puis s’écartent, elle dit: « Il faut maintenant nous séparer. » C’est lui qui se penche et avance les lèvres et elle lui offre sa bouche pour la seconde fois (pour le même baiser seulement plus long, oui, et aussi leurs joues, leurs fronts, leurs paupières et leurs tempes se baisent, mais pas leurs langues, ni ne mêlent de salive). « Ta bouche sent le tabac, dit-elle, mais ce n’est pas désagréable. » Elle s’accroupit et prend la lampe qu’il avait posée à terre. Elle fait un pas, lui tourne le dos, deux pas en direction de sa chambre, tourne le cou par-dessus son épaule et lui jette un regard douloureux. Lui n’a pas bougé. Elle reste immobile, dos tourné, lampe tenue à hauteur des hanches, deux secondes, trois, et se retourne. Sans bruit ses lèvres lui disent d’approcher et lorsqu’il est à nouveau debout devant elle lui dit: « Mets-toi sur les genoux… ne pose pas tes mains sur moi. » Il s’agenouille et posant ses mains derrière sa tête, elle pousse le visage de Nemo contre son sexe. Il pose un long baiser sur ce sexe fermé dont sourd un parfum qui l’enivre et qu’il hume comme s’il le buvait, un long baiser jusqu’à ce qu’elle lui tire la tête en arrière. Il se relève et elle lui dit: « La prochaine fois nous dormirons ensemble. » Et elle s’est retournée et déjà referme sur sa nudité la porte de la chambre.