Les espaces froids nous vont bien. Ils sont déjà un peu la nuit interstellaire.
Il n’y a qu’une image de la Terre à la Taverne des 2 lunes où nous nous arrêtons souvent le soir avant de regagner nos quartiers d’habitation. Et encore, cette image, il serait facile de l’ignorer, clouée qu’elle est sur un bout de mur dans un recoin de la salle. Cependant c’est là qu’est la meilleure table, celle où se tiennent les conversations les plus joyeuses et les plus calmes. Lorsqu’on y est resté un peu et que l’on a bu un peu, deux ou trois pintes de bière, on oublierait presque que la Taverne des deux lunes n’est qu’un habile postiche et que dehors on retrouvera le brouhaha musical et les lumières vives du centre commercial ou bien les tubes climatisés qui mènent aux garages (car la Taverne a deux issues). On l’oublierait si l’on pouvait imaginer autre chose, la gifle du vent que des tubes on voit soulever des tourbillons de neige dehors, dans l’air irrespirable.
Mais revenons à l’image. C’est l’image de la base 1, de l’ombilic comme le nomment certains discours fleuris: la ville éclairée de nuit par son propre reflet dans la neige, la masse du monastère et, si l’on regarde bien, au premier plan, la silhouette de yacks.
L’un d’entre nous, un soir que nous étions assis à cette table, la meilleure table, que nous en étions à notre quatrième pinte, chacun ayant payé sa tournée, et que nous avions décidé de commander quelque chose à manger plutôt que de regagner nos quartiers d’habitation, l’un d’entre nous remarqua, après s’être laissé distraire de notre conversation par l’image, que pour lui il lui semblait n’être jamais parti de Base 1, qu’ici et tout l’espace intersidéral faisaient partie de Base 1. Et il se rappelait quelle impression il avait éprouvé la première fois qu’il avait mis le pied sur le tarmac de l’aéroport de Base 1.
Nous nous étions tournés vers l’image et, pendant qu’il parlait, je la regardais et tout particulièrement les étoiles très nettes qui parsemaient le ciel dans sa partie supérieure. Je me demandais si alpha 365 était visible sur cette portion de ciel ou l’une de ses illusoires voisines mieux visibles de la Terre et plus anciennement connues.