(Comme il dormait à présent chez C., Robert m’avait prêté son appartement pour la nuit. Après le souper, en fin de soirée, ils m’y avaient amené, c’était de l’autre côté de l’avenue, à cinq minutes.)
Lorsqu’ils ont été partis, je me suis mieux rendu compte que l’appartement était presque vide.
Dans la chambre où j’ai dormi, qui donne sur une sorte de cour, parc de stationnement de l’ensemble d’immeubles, il y a une penderie. Que j’ai ouverte. Et il y avait quoi? trois paires de chaussures et quatre cintres, trois fois rien de vêtements. Pas de livres. Une petite chaîne hi-fi sur un meuble bas qui ne contenait que quelques cassettes et quatre ou cinq CD. J’en ai fait l’application à moi-même, j’ai admiré la liberté de Robert (il nous avait parlé à table de son travail de postier, des tournées… et il mettait à le faire une logique simple, presque austère). Pas de livres. Un bocal de café lyophilisé dans la minuscule kitchenette, et un paquet de biscuits qu’il avait tenu à apporter pour moi. J’ai pensé à ça: efficacité, liberté. La télévision au pied du lit, équipée d’un casque à infra-rouge pour ne pas incommoder les voisins.
Et cette lunette dans la pièce de devant, celle qui donne sur le Rhône, Robert m’a dit qu’elle était vendue comme lunette ornithologique mais qu’il s’en servait pour regarder les gens, les barques sur le Rhône, les promeneurs de Trinquetaille.
Et sur le dessus d’une minuscule commode une sorte de petit musée, quelque chose comme le bric-à-brac des objets ramenés de voyage que j’entassais sur le rebord de la cheminée avenue Foch, à Nice.
L’appartement si vide – l’architecture même, HLM d’après-guerre, des années 50, je suppose, tout ce quartier autour de la porte de la Cavalerie, entre le centre et la gare, ayant été bombardé à la fin de la guerre, y compris la maison jaune peinte par Van Gogh, l’architecture même ajoutait à cette impression de vide et de simplicité. L’appartement si vide, ce qui s’y trouvait se détachait d’autant, facile à lister, semblait faire sens comme un idéogramme: le petit musée sur la commode, le téléviseur avec son casque à infra-rouge, la petite lunette ornithoscopique braquée sur le Rhône…
Aux objets sont attachés des enjeux de mémoire. Les bibelots sur la commode (deux cartes postales, des statuettes de dieux hindous, avec des grands yeux comme l’idole de Nathdwara, en bois, rangés, trois, solidaires, comme sur une brochette, un taureau de corrida, un peu râpé, les banderilles sur sa bosse et le mufle relevé…) semblaient assurer cette fonction de mémoire a minima. Mémoire rangée ici, dans cet espace restreint, et n’en débordant pas, ne venant pas parasiter d’autres fonctions plus triviales (combien de vêtements ne gardé-je pas par seule solidarité de souvenir, au nom du plaisir que j’ai eu à les porter jadis!)…
Avant de m’endormir j’ai regardé, casque sur la tête, un documentaire d’Arte, sur les bordels, au Brésil, au Japon.