D’aussi loin que je me souvienne, nous nous sommes vêtus de couvertures. Certains d’entre nous ont rapporté d’auprès de peuples plus raffinés l’habitude de vêtir leurs corps de tissus légers, végétaux, mais ces tuniques s’abîment vite et elles ne suffisent pas à protéger le corps du froid. Nous, nous couvrons nos corps des toisons de nos bêtes, que nos femmes tissent avec art pour en faire les couvertures les plus chaudes, les plus souples et les plus légères.
Nous en avons modifié les formes, les avons découpées en demi-lune, manteaux, pour les rendre plus faciles à draper sur nos corps et en rendre les plis plus serrés et plus stables, pour qu’elles se ferment sur nos bustes comme des nœuds, comme des bras noués, mais elles restent les mêmes couvertures sous lesquelles reposer nu la nuit. Nous n’allons pas nus, nous ne nous couvrons pas non plus de la peau des animaux tués.
Je me souviens du jeune prince Thésée lorsqu’il est entré dans notre ville, son manteau jeté sur ses épaules, nu, un chapeau incliné sur le front. Je me souviens des vieillards, tandis que notre tribu fuyait dans les montagnes de Médie, qui couvraient leurs cheveux blancs sous le pli de couvertures rouges et noires. De la neige tombait et chacun sentait avec peur ou résignation le froid s’insinuer contre la laine rugueuse.
Je me souviens aussi de Socrate, dans son manteau noir de laine grossière, un jour de décembre, qu’il tombait une petite pluie glacée, marchant pieds nus dans le quartier du théâtre. Son manteau était étroitement enroulé, s’arrêtait au milieu du mollet et ne laissait dégagé que sa main droite qu’il tenait plaquée ouverte sur son ventre tandis qu’il se hâtait à grandes enjambées. Ou assis perdu dans ses pensées au pied d’une église. Insoucieux des enfants qui jouaient là et qui entre eux se moquaient parce que, son genou relevé, ils voyaient ses parties.
Mais je me souviens surtout de mes voyages. Des nuits passées près du feu, où je m’endormais doucement contre les braises, gardé par mon bâton et mon manteau.