Couvent

Ça commence avec le vol de deux mouettes au-dessus de la forêt. Elles semblent descendre des crêtes et planent immobiles.

Elles survolent des villages abandonnées, des trouées que l’herbe haute recouvre et que la forêt reprend, des maisons de pierre aux toits effondrés.

L’un des oiseaux pousse un cri à quoi l’autre répond et d’un mouvement imperceptible de l’aile elles infléchissent leur course et glissent selon une large courbe vers la gauche. Presque dessous elles des nonnes, en voiles blancs, jouent au ballon dans une clairière. C’est dimanche. L’une d’elles, comme le ballon lui arrive, remarque le couple d’oiseaux. Elle garde le ballon contre la poitrine et désigne les mouettes à ses compagnes. Toutes lèvent leur visage au ciel et s’exclament: on n’a jamais vu de mouette si loin de ce côté-ci de la montagne, si loin au-dessus de la forêt. Les oiseaux disparaissent derrière les cimes des arbres, au midi, du côté du couvent.

L’instant d’après on entend corner de ce côté-là. Ce doit être la Land Rover du père Francis. Les nonnes se hâtent en courant sur le chemin. C’est bien le père Francis. Il est debout près de la voiture sur l’esplanade devant le couvent et parle avec la mère supérieure. Il a l’air ennuyé. « Eh oui, dit-il, vous me l’aviez dit mais, je ne sais pas pourquoi, j’imaginais que ce serait seulement le mois prochain. En fait, sur le moment je n’y ai même pas pensé … »

« Ma mère, padre Francisco! Vous ne devinerez jamais ce que nous avons vu dans le ciel tantôt … ». « Palomita, appelle une autre sœur, viens voir ce que Père Francis nous a apporté! ». Sur la banquette arrière de la voiture un jeune homme et une jeune femme sont endormis accotés l’un à l’autre. La jeune femme est belle et blonde comme une madone. Ses joues sont un peu rouges et des gouttelettes de sueur perlent à ses tempes et sur les côtés de son front. Le jeune homme, lui, est brun et il s’appuie sur elle autant qu’elle sur lui.

« Ils se sont endormis pendant que je disais la messe à San Miguel dans la vallée. Ils ne se sont pas réveillés ensuite de tout le trajet. Et vous connaissez l’état de la route. Ils devaient être épuisés. » Les nonnes se sont agglutinées autour de la voiture et se poussent pour voir les deux jeunes gens. « Sont-ils pas mignons, dit une religieuse un peu plus âgée qui s’attendrit, dirait-on pas des agneaux tout à fait? « 

Mais le jeune homme entr’ouvre et plisse les yeux. Il se frotte le visage, s’étire largement et dit « J’ai une faim de loup! ». La jeune femme se réveille en même temps, elle ouvre doucement les yeux et regarde son compagnon en souriant. La Mère supérieure s’approche d’un pas rapide en tapant des mains: « Allons, allons, mes filles, ne restez pas là. »