Insomnie

Je ne peux pas dormir, j’entends l’eau de la rivière. Rapide, elle bruisse comme un torrent. J’écoute la rivière, c’est le milieu de la nuit. J’écoute la rivière parce que je ne peux pas dormir. Le milieu de la nuit, il n’y a d’autre bruit que celui de la rivière. Même les chiens dorment. Lire la suite

impur

Je suis gros. Chaque matin je vais acheter un paquet de cigarettes et une boite d’allumettes. Mon premier paquet de cigarettes. Je vais acheter mon premier paquet de cigarettes à l’épicerie au coin de la petite rue qui monte de ma pension au centre de la ville. Je suis gros, blanc et plutôt sale. Impur, depuis le moment où je m’éveille jusqu’au moment où je me couche je porte sur moi la sensation de mon impureté, et encore mes rêves sont-ils tissés d’impureté. Je vis avec ça, j’ai appris à vivre avec ça. Je veux dire que je le supporte assez bien. C’est ainsi que je suis, je ne peux pas ne pas m’embarbouiller d’impureté, à chacun de mes actes.

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L’Armée (10/10), dernier récit

On m’accueillit avec des larmes: le vieux était bien mort et enterré. La fillette me tira à part et lorsque nous fûmes isolés se mit à réciter des vers dans ma langue maternelle, des vers qu’elle ne comprenait évidemment pas. Le vieux s’était ingénié à les composer dans un mètre qui les rendît faciles à apprendre par la fillette. Ces vers disaient ceci: « Va dans une ville loin d’ici. Apprends leur langue, porte leurs vêtements, mange comme eux et pratique leurs cultes, marie-toi et que personne ne sache où tu es né. » Lire la suite

Les Autels d’Alexandre (6/6), convalescence (2/2), kiosque

Derrière la maison il y a des jardins. Sur sa plus grande étendu le parc est planté de palmiers, avec des bosquets d’autres essences. Une pièce d’eau devant la maison, à gauche de l’allée. De l’herbe rase, des buissons par places. Lauriers, acacias, épines.

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Les Autels d’Alexandre (5/6), convalescence (1/2), la maison au fond du parc

LE PASSAGE du fleuve est assuré par un système de bacs, lent et peu sûr. Les Anglais voulaient jeter un pont.

La récente campagne militaire avait nécessité l’emploi de petites unités de troupes très mobiles. A leur arrivée les passeurs disparaissaient avec leur bac, d’autres le coulaient chargé et s’enfuyaient à la nage.

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Les Autels d’Alexandre (4/6), la maladie de Nemo (3/3), une place

Elles habitaient le quartier est. Il fallut donc traverser toute la ville, presque en diagonale. Ils longèrent des maisons de trois étages, sculptées, plantées comme des bornes. Les rues grouillaient. Nemo sans cesse bousculé avançait avec peine. Les filles durent le soutenir. Ils arrivèrent dans un quartier plus calme. Une maison basse sur une place carrée. Nemo s’assit tremblant de fièvre.

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Les Autels d’Alexandre (2/6), la maladie de Nemo (1/3), la ville

LA PLAINE s’étrécit jusqu’au confluent des cinq fleuves. Les fleuves, leurs affluents et les canaux d’irrigation la couvrent d’un réseau complexe. Un sixième fleuve recueille leurs eaux, il coule sous les montagnes occidentales, une bande désertique le sépare de la plaine. Du confluent s’ouvre une autre plaine où il disperse ses bras jusqu’à la mer.

Les indigènes détournent les eaux des fleuves pour leurs cultures. Ils s’habillent de lin ou de coton, se chaussent de sandales et s’entourent la tête d’une pièce d’étoffe.

La ville est située un peu en amont du confluent, sur la rive gauche du plus oriental des cinq fleuves. A cet endroit il est large de quatre stades et ses eaux ont la couleur de la mer.

A une centaine de mètres de la rive, devant la ville, il y a une île. On y construisit au XVIIIème siècle un palais. Il est de style composite, décoré de marbre et de grès rose, ses faces sont découpées de galeries, de balcons et de belvédères. Du côté amont il est haut de trois étages. Ménageant d’étroits paliers, des escaliers descendent le long du socle jusqu’à des barques amarrées à l’abri d’une digue. Une passerelle de construction plus récente relie le palais à la rive. Les Anglais en expulsèrent le prince. Il se fit édifier un nouveau palais dans un parc de la rive droite.

La ville a été carrée. Son périmètre apparaît encore dans le tracé de certaines rues, dans la différence des quartiers de part et d’autre. Mais le plan initial a été débordé et la ville flanquée d’excroissances imprévues: au sud-ouest imbrication de cours étroites et de toits plats qu’entourent les toits de paille des bidonvilles (ils couvrent la bande entre le fleuve et la route), les enclos à bétail, les magasins.

Beaucoup de caravanes qui ont remonté la route parallèlement au fleuve, se dispersent là, en repartent vers le sud. La route aboutit à une place, à l’angle ouest du carré primitif. Des passeurs attendent les marchands. Sur l’autre rive la route reprend et s’éloignant peu à peu du fleuve gagne les terres irriguées. Au-delà de cette place une rue marchande continue la route et trace le côté nord-ouest de la ville. Beaucoup de monde s’y presse, des étalages à même le sol l’encombrent. C’est là, en plein marché, que Nemo est tombé, a perdu connaissance. Un mur sépare la rue des berges maçonnées. Il est percé à intervalles réguliers d’une porte. Elle ouvre sur un escalier de pierre, accès aux barques et aux péniches.

Au sortir de la ville la route reprend sa largeur initiale et, toujours parallèle au cours du fleuve, monte vers le nord-est, le passage en lisière.

Le coin nord de la ville a été abandonné, maison par maison, la plupart des toits se sont effondrés.