C’est en retournant à la base que, traversant le sous-bois qui couvre le levant de la colline qui la domine, j’ai remarqué des excroissances sur plusieurs jeunes arbres. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de chenilles: les plants des avocatiers semblaient couverts de grosses chenilles gluantes jaunes et roses. Je me suis approché et j’ai vu qu’il ne s’agissait pas de chenilles mais que c’étaient les feuilles elles-mêmes qui étaient ainsi déformées. Arrivé à la base, je suis tout de suite allé au service botanique pour informer de ce que j’avais vu mais tout le monde était déjà au courant. Ces sortes de nouvelles vont très vite. Et nous savions ce que ça signifiait. Le service botanique, bien sûr, étudierait cette nouvelle maladie et y chercherait une parade mais personne ne se faisait beaucoup d’illusion et les préparatifs du départ étaient déjà ordonnés. Officiellement pour parer à toute éventualité mais nous regardions le ciel et nous nous disions que les années sombres, les années d’errance et de confinement allaient recommencer.
J’étais assez vieux, comme beaucoup d’entre nous, pour me souvenir de T5, comment après plusieurs tentatives infructueuses ou avortées, l’humanité avait cru trouver une nouvelle terre où s’installer. Je suis né sur T5, comme 3 générations d’humains. Cette terre était un paradis et nous avions commencé de la peupler, des communautés s’étaient dispersées sur son sol. Et l’on se mettait à penser que les années d’errance interstellaire avaient été une parenthèse dans l’histoire de l’humanité, un mauvais rêve, l’incubation d’un nouveau monde, meilleur que l’ancien, où l’ancien revivrait pour l’éternité, régénéré.
Lorsque les premiers signes sont apparus, on n’a voulu y voir que l’indice d’un problème mineur quoique important, que la science saurait résoudre. En quatre ans l’écosystème s’est inexorablement dégradé, en progression géométrique. Je me souviens des derniers mois, T5 était devenue méconnaissable, un ciel noir, une mer grise, ce qui restait de vie végétale et animale était devenu monstrueux, chaque organisme semblant à travers les difformités et la douleur efforcer ce qu’il lui restait de ressource pour tirer de cette planète malade un peu d’air et un peu de nourriture. Et les communautés humaine ! le souvenir en est atroce.