Rencontre, Halte et Décision

Quelqu’un traverse une forêt de pins, haute futaie sur un sol souple et léger. Le grondement d’un galop rompt le silence. Une jeune troupe apparaît entre les troncs. Ils passent tout près de lui sans le voir, presque nus, les cuisses serrées à même la croupe des chevaux. Ils disparaissent et il repart. Débouchant, il les retrouve au bas d’une clairière, jeunes hommes et jeunes filles, qui s’amusent et dansent. Les chevaux sont attachés près du ruisseau. La ville est sur une colline dans le lointain bleuté. Il s’assied sur une pierre moussue et mange ce qui lui reste de pain et de fromage. Les robes s’entr’ouvraient: des chairs se donnaient à voir dans l’entrebâillement des vêtements.

La ville est sur une colline dans la plaine. Ils sont sortis de la ville au petit matin. Ils ont chevauché dans la plaine, puis comme le soleil montait, pour trouver quelque fraîcheur ils sont allés dans la forêt sur la montagne. Après galoper ils ont choisi une clairière, ont attaché les chevaux près du ruisseau et se sont égaillés dans l’herbe haute. Les jeunes filles allaient dans les buissons environnants chercher des fleurs et des feuilles pour en tresser des guirlandes. Ils ont alors aperçu un homme, en haut de la pente, assis sur une pierre qui semblait manger. Ils avaient là de la nourriture apportée par des serviteurs. Quelqu’un fit un geste du bras pour l’inviter. On lui offrirait des fruits. Il aurait quelque histoire à raconter. Il hésita. Il leur dirait : « je suis un voyageur, loin de sa patrie … »

L’homme s’est assis à la table, sous le rosier. On lui a donné à manger et du vin à boire. « Regarde, dit un homme à un autre, ce front et ces yeux: cet homme est sage, il a vu et sait beaucoup de choses. Parlons-lui! » L’autre acquiesce, alors le premier se lève et s’adresse à l’étranger:

« Notre ville est encore une ville, mais les habitants sont autres qu’ils n’étaient…
Ceux qui auparavant étaient bons sont maintenant mauvais…
Ils se trompent réciproquement et se moquent les uns des autres, n’ayant aucun sens ni du bien, ni du mal…
C’est la richesse que l’on considère; la richesse confond la race… tout est mêlé…
Il n’y a plus ni pères, ni mères, ni enfants, ni frères, ni soeurs…
Nous nous sommes retirés dans les collines, loin du trouble de la ville; et tu nous arrives de la forêt. Qui d’entre nos concitoyens pourrait ramener la concorde? Seul un étranger, un sage comme toi saura nous rendre une juste constitution. »

Tous approuvent et supplient l’homme. L’étranger sourit: « Je sors de la forêt comme un cerf, prenez garde. Je sors de la forêt comme un loup, craignez que je sois le chasseur et vous le gibier. »

« Regardez, déjà le soleil décline derrière les crêtes, au bout de l’allée. Ses derniers rayons dorent le profil des feuilles. Notre vie est comme ce jour, trop brève. »

Reptile au Style, n°7, 1er trimestre 1979