Lorsque la reine Penthésilée se fut immolée, comme le raconte Heinrich von Kleist, les Amazones ne surent que faire du cadavre mutilé d’Achille dont elles avaient rassemblés et placés les restes dans un coffre. Certaines imputaient au héros grec la mort de leur reine et clamaient qu’on aurait dû le laisser sur place, que les chiens et les oiseaux le finissent, d’autres au contraire arguant de l’amour surhumain qui avait uni la reine et le héros, souhaitaient associer celui-ci au culte de celle-là. C’est sur ces entrefaites, tandis que les deux partis s’opposaient devant la nouvelle reine, la jeune Myrina, qu’Ulysse se présenta avec les insignes de négociateur pour demander à la reine de bien vouloir rendre aux Achéens les restes d’Achille afin qu’ils lui fissent des obsèques dignes de sa valeur. La reine décida vite d’accéder à cette requête qui la tirait d’embarras (en vérité, en privant les unes de leur profanation, les autres de leur vénération, elle ne satisfaisait personne mais au moins mit-elle fin aux disputes, aux plaidoiries, aux harangues et aux récriminations qui avaient accablé sa cour depuis le lendemain de son élection) et de faire bon accueil à Ulysse.
De son côté Ulysse avait apporté les dépouilles des douze amazones qui avaient été tuées devant Troie. L’échange fait, les compagnons d’Ulysse repartirent vers le campement des Grecs mais Myrina retint Ulysse pour un banquet. Au cours de ce banquet, pour répondre à la curiosité d’Ulysse, la reine décrivit les institutions qui régissent la société des Amazones puis la philosophe Aristea qui était aussi la grande prêtresse du culte d’Artémis prit la parole. Les hommes, expliqua-t-elle, sont plus que les femmes proches des animaux du fait de la force vitale qui est chez eux en excès, qui les rend plus grands et plus forts mais aussi plus prompts à la violence et à la colère, à la prédation et au viol. Ne voit-on pas que lorsqu’ils sont sous l’emprise de la colère ou du désir, particulièrement du désir érotique, ils y soumettent leur raison lorsqu’ils ne la couvrent pas tout à fait d’un voile noir d’invisibilité. C’est pourquoi il est nécessaire que la société reste gouvernée par les femmes, dont l’intelligence n’est pas offusquée par l’assaut des instincts et dont le bien commun reste le souci constant, et que les hommes soient maintenus en sujétion et éduqués dans la conscience de leur infériorité. La poétesse Prothée, qui écrivit « l’homme est l’avenir de la femme » (plus précisément « ὁ ἀνήρ ἐστὶ τὸ μέλλον τῆς ἀνθρώπου »), voulut prendre à son tour la parole. Si les hommes sont, dit-elle, tels que les a décrits Aristea, c’est parce qu’ils sont élevés dans l’idée de leur infériorité et de leur irresponsabilité. Pourquoi feraient-ils effort pour maîtriser leurs passions puisque de toute manière ce sera une femme qui sera finalement l’arbitre de leurs actes? Mettre un terme à ce préjugé doublerait à la cité le nombre de ses citoyennes actives, et d’ailleurs sans doute y gagnerait-elle, dans son gouvernement, l’effet de qualités qui ne sont méprisées que parce que le préjugé les attache à un sexe réputé inférieur. La reine, en regardant Ulysse, conclut cette dispute en avançant que l’idée d’une promotion du sexe mâle était une idée belle mais dangereuse et qu’en l’état des choses abolir la domination féminine serait la ruine de la société, mais qu’on pouvait envisager l’accès progressif des hommes à certaines responsabilités à condition qu’ils aient appris, à l’aide d’une éducation appropriée, à maîtriser leurs instincts.
Le banquet se termina sur ce jugement modéré. Ulysse passa la nuit avec la reine, comme il était de coutume alors, et repartit le lendemain avec le coffre contenant la dépouille d’Achille et un autre contenant des présents pour lui-même, portés de part et d’autre du bât d’un mulet servi par deux hommes. Ulysse voulut parler un peu avec eux pour égayer le trajet mais il les trouva parfaitement stupides.