Une île

Une île. Il habitait une île, l’intérieur, dans les montagnes. Il venait d’ailleurs comme beaucoup en bas, dans les villes près du rivage, mais peu ici dans les montagnes. Les habitants des montagnes sont pour la plupart nés dans l’île, nés dans les montagnes de l’île.

En bas, près du rivage, lorsque on dit « dans la montagne », c’est pour dire dans les hauteurs de la ville ou au-dessus, les villages auxquels on accède en remontant les vallées qui débouchent près de la ville. Pour les autres villages de montagne, on dit « dans les montagnes », même si, vu de loin, il semble que l’île elle-même soit une grosse montagne posée sur la mer.

Les habitants de la montagne n’aiment pas la mer. Ils descendent rarement jusqu’au rivage. Ils descendent en ville lorsqu’ils en ont besoin, pour faire des achats, du commerce ou des démarches administratives. Et lorsqu’ils descendent en ville, ils évitent le front de mer. La mer leur fait peur ou les rend mélancoliques.

Et puis il fait très chaud en bas, pendant la plus grande partie de l’année. Il fait chaud et le soleil est méchant, il brûle les yeux, il chauffe le crâne. On transpire, on sent mauvais. Et il y a du bruit, des automobiles, les gens parlent fort, se disputent. Les femmes aussi, les femmes se montrent, montrent leurs cuisses, leurs bras, leur poitrine. Ça excite les hommes, capture leurs regards, les femmes des montagnes se sentent laides, pâles, mal habillées. Ça les rend jalouses. Il leur semble qu’on les regarde avec mépris, qu’on les trouve laides. Les hommes aussi ont l’impression qu’on les regarde avec mépris, qu’on rit derrière leur dos, qu’on les trouve grossiers et stupides. Sur le front de mer et dans les rues tout juste derrière, où il y a des restaurants, des brasseries et des hôtels, pas dans les rues de l’intérieur de la ville, où sont les magasins, les entrepôts, les ateliers, les bureaux, là où on a l’habitude, où on nous connaît, où l’on échange des nouvelles, sur le temps dans la montagne, sur les récoltes, où on a de la famille aussi, un neveu, un cousin, une tante, une fille qui s’est mariée à un fonctionnaire qu’elle a connu à l’université, pendant qu’elle y faisait ses études, l’unique université de l’île, sur les hauteurs derrière la préfecture.

Mais il y a les enfants. Les enfants regardent la télévision dans les villages. Lorsqu’ils sont en vacances, l’été, ils veulent aller à la plage. Alors on descend pour eux. Presque tout le monde. Les enfants qui restent dans la montagne, les autres leur racontent, se moquent d’eux ou leur font envie. Ils sont bronzés, ces autres enfants, racontent plein de choses avec ça, qu’ils ont mangé des glaces – comme si on ne pouvait pas manger de glace dans le village! – mais les glaces, ici, ce n’est pas pareil diront-ils, ce n’est pas comme une glace qui coule dans son cornet, qu’il faut manger vite parce que le soleil la fait fondre, que la crème glacée fondue ramollit le cornet et qu’on va s’en mettre plein les doigts, qu’on s’en met plein les doigts mais ce n’est pas grave parce qu’il y a la mer à côté, ici les glaces, il n’y a guère que les touristes qui en mangent, on n’a pas l’idée, les touristes en mangent aux terrasses des restaurants, à la fin du repas ou au retour de promenade. Ils parlent des requins, de la peur qu’ils ont eu une fois. Les plus grands parlent à mi-voix des étrangères qui se dénudent sur le sable, de leurs seins nus, des maillots qui leur rentrent dans la raie des fesses. Alors ceux qui sont restés au village se sentent pauvres, misérables et ennuyeux.

Donc pour les enfants, ceux qui ont des enfants de cet âge, entre sept, huit ans et le lycée, en gros, parce que les lycées, il y en a deux, sont en ville, un dans la ville du nord, un dans la ville du sud, et pendant les vacances, ils peuvent se débrouiller, ils sont assez grands, ils peuvent prendre l’autobus qui les descendra jusqu’au rivage et d’ailleurs ils n’ont plus trop envie d’être encombrés de leurs parents lorsqu’ils sont sur la plage, donc ceux qui ont des enfants dans ces âges-là, descendent l’été avec leurs enfants sur les plages. Ils ont investi dans un grand parasol et dans des fauteuils pliants. Ils amènent de quoi manger dans des gros sacs en plastique de supermarché.

Il y a des collèges quatre ou cinq dans les montagnes, au confluent des torrents, qui desservent plusieurs villages. C’est un village pas plus gros que ceux d’en haut, au confluent, mais il s’y trouve le collège, aussi une église, une véritable église en pierre, avec deux tours sur la façade et un clocher bâti sur le transept, une église en pierres grises qu’on regarde chaque fois qu’on prend la route pour descendre en ville.

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