Mon protecteur m’a fait asseoir à côté de lui sur la banquette longitudinale à l’avant de l’autobus. En causant avec lui pendant le trajet j’apprends qu’il est militaire, comme ses deux compagnons, plus jeunes, qu’ils font partie de la BSP (Border Security Patrol) et qu’ils reviennent du Cachemire. Je lui demanderais volontiers des nouvelles de la frontière et de l’état des choses au Cachemire mais à la manière élusive dont il répond à une question anodine je crois comprendre qu’il est tenu à la discrétion et puis j’ai déjà assez senti d’hostilité à mon allure musulmane pour éviter de donner prise au soupçon.
Tundla est à une vingtaine de kilomètres à l’est d’Agra, à mi-chemin entre Agra et Ferozabad, sur la Yamuna. Nous avons fait le trajet dans la nuit, dans la nuit indienne qui est assez épaisse…, non, dans la nuit indienne où les ampoules font encore comme des foyers de vie.
Oui, c’est cela (toutes les nuits qu’on traverse en autobus sont épaisses et mystérieuses), en Inde, la nuit, les lumières sont des foyers, la nuit indienne ne connait pas ces morceaux de nuit éclairés et vides qu’on traverse en Europe, à la Magritte, émanant un autre type de mystère, plus radical. Les lumières nocturnes de l’Inde sont appétissantes, disent à chaque fois une communauté, des gens.
Nous avons fait le trajet dans la nuit, dans la nuit indienne où les ampoules font encore comme des foyers de vie. Il y a eu un arrêt sur une place dont je n’ai pu savoir si elle était celle d’un faubourg ou celle d’une petite ville, j’ai vu une petite gare et le trait de la voie ferrée. J’ai cru reconnaître, à l’arrêt et vide à nouveau, le bus que la jeune japonaise et moi avions failli prendre. Il y a eu, cinq kilomètres avant Tundla, un fête foraine, des baraques, une grande roue pas très grande et des promeneurs paisibles et qui semblaient s’amuser. J’ai plusieurs fois jeté un coup d’oeil à la jeune japonaise qui était assise au milieu d’une banquette à l’arrière mais je suis resté avec les militaires de la BSP. Qui sont descendus avant que nous soyons arrivés à la gare de Tundla, dans les faubourgs, vraisemblablement. Nous avons échangés de chaleureux sourires et de vigoureuses poignées de main. Le bus était presque vide lorsqu’il s’est arrêté devant la gare de Tundla.