Biss 3.1.

Quel bonheur c’est, d’être un chat, tu ne peux pas l’imaginer. Elle me demandait de lui raconter tandis que nous étions couchés l’un contre l’autre dans cette maisonnette au milieu des tombes.
Je lui raconte.
Elle dit:
Non, toi, tu n’as pas le droit. Seulement ton frère, le chat. Parce qu’il a des yeux de chat. Toi, tu n’as pas des yeux de chat.
Je lui dis: Mais je suis moi ce chat. Il n’est nul autre que moi, ce chat.
Et elle: mais non, ça n’existe pas, de se changer en chat. Ne sois pas enfantin. Ce chat est ton jumeau.
La honte, l’humiliation me rongent. Je suis en colère. Je serais en colère si je ne désirais pas autant ce qui se passe là.

Je raconte: je sentais ton odeur par mes narines de chat.
Elle dit: ne dis pas « toi », tu me fais honte. Dis: « elle ».
Ma complaisance m’humilie, je serais en colère si je ne m’empêchais pas. Je suis couché contre elle mais elle ne me permet pas de poser mes mains sous ses vêtements. Je sais que si je me mettais en colère, j’écarterais ses cuisses et je ferais couler son sang et alors plus rien ne serait comme avant. Peut-être la tuerais-je. Et puis il y a ce qu’elle ne sait pas: la folie que j’ai faite. Ils me tueront, me dis-je en traversant le fleuve. Mais je n’ai connu aucune femme comme elle, je n’ai aimé aucune femme avant elle, et je n’en aimerai jamais d’autre. Me dis-je en traversant le fleuve.

Je raconte: je sentais ton odeur par mes narines de chat.
Elle dit: ne dis pas « toi », tu me fais honte. Dis: « elle ».
Ma complaisance m’humilie mais je reprends, tout douloureux au cœur de la colère que je retiens, je dis:
Je sentais son odeur par mes narines de chat.
Elle:
Ce sont des contes de nourrices que tu me racontes là. Ça n’existe pas de se changer en chat. Et si tu en étais capable, alors change toi en chat, là tout de suite. Si tu te changes en chat, je te prendrais contre mes seins, tu vois, dans l’ouverture de ma robe. Alors qu’attends-tu? Il fait nuit, n’est-ce pas, et n’as-tu pas désir de venir contre ma peau?
Dis: « Il sentait son odeur par ses narines de chat ».
Je reviens avant l’aube. Au petit jour, je traverse la ville et je regagne ma pension en face de la gare.