L’Armée (8/10), 2ème récit (4/5), le lendemain

Soleil, lune, ciel. De l’autre côté du fleuve on a bien vite réuni les devins. C’est que dans le camp on murmure. On prend les augures et voici ce que déclare le doyen des devins: « C’est l’esprit du fleuve qui est irrité. » Parmi les nombreuses femmes qui accompagnent le roi, il y a une danseuse âgée de treize ans, la plus gracieuse et la plus experte de toutes. Le roi veut en faire une épouse lorsque la guerre sera terminée. Le doyen la réclame: « Il faut offrir au fleuve cette vierge que tu possèdes. » Le roi lève son sceptre pour frapper le devin mais l’autre roi, son allié, s’interpose. L’autre regarde par-dessus l’épaule de ce dernier et voit la foule serrée des soldats qui les entourent. Alors il se retourne et se fait ouvrir un chemin à coups de bâtons jusqu’à sa tente. Il crie, pleure ou marche de long en large, casse les vases qui ornent sa tente, projette d’exécuter le doyen puis de s’enfuir avec la jeune fille. Il s’endort, le lendemain pleure encore mais lorsqu’on vient chercher la vierge il enfile le costume royal et exige de présider au sacrifice. On donne à la jeune fille des mets compliqués; elle, qui sait à quoi on la destine, refuse toute nourriture. On la baigne, oint et parfume. On l’attache à un lit d’ivoire, nue mais on pose près d’elle un paquet de robes brodées d’or et de pierres précieuses. On lie aux montants du lit ses poignets et ses chevilles. Elle ne crie ni ne pleure. On porte le lit au bord du fleuve. On accroche encore des boucles à ses oreilles et on place un diadème dans ses cheveux et on met le lit dans le courant. Le lit flotte un moment puis disparaît. Le doyen, lorsqu’il rentre sous sa tente, trouve deux hommes d’armes dont un lui tend une coupe emplie d’un liquide amer.

Le fleuve est déjà redescendu à son niveau normal mais il continue de baisser. A l’aube du lendemain affleurent les rochers du gué. On fait sonner les trompettes. Le gué est presque sec. Le fleuve est passé, les armées se rangent et la bataille s’engage. Elle est longtemps indécise mais dans l’après-midi le sort bascule. On a reculé presque sous les murs de la ville. Le roi dit à son cousin: « La fortune nous est contraire. Vous allez devoir vous enfermer dans votre ville. A quoi servirait que mon armée s’y enferme avec la vôtre? Votre ville a de forts remparts et vos troupes suffisent à les défendre. Mon armée ne ferait que double charge. Bientôt la nuit va tomber, ce que je compte faire, c’est réunir mes troupes et à la faveur de l’obscurité quitter le champ de bataille. Nous rentrerons chez nous. Là, je reconstituerai une armée fraîche qui viendra délivrer votre ville. » Ainsi est fait et dans la même nuit on se retire dans la ville.