Nous étions retournés prendre nos quartiers d’hiver dans la ville de X où nous avions tant souffert de la chaleur l’été précédent. L’hiver fut aussi froid que l’été avait été chaud. L’armée eut de plus à souffrir de la faim: une partie de la population, comme nous approchions, s’était enfuie avec les récoltes. Le reste était soupçonné cacher des provisions qu’on n’avait pu découvrir bien que chaque maison eût été fouillée. Ce n’est qu’au mois de janvier que le général, quelques soldats ayant péri et la famine menaçant de décimer l’armée, envoya des crieurs pour convoquer les responsables de la ville. Or ceux-ci ne s’étaient jamais présentés, on ne savait même pas qui ils étaient, ceux avec qui on avait parlementé l’été précédent s’étant enfuis. Personne, cette fois non plus, ne se présenta. Alors le général fit prendre tous les hommes qui semblaient posséder quelque richesse et les rassembla dans une très grande salle où il leur dit que s’ils ne livraient pas leurs provisions supplémentaires (que les habitants souffrissent peu de la faim en attestait l’existence) la population mâle serait exterminée. On avait aussi amené là quelques hommes des basses classes afin qu’ils répandissent la nouvelle de ces conditions, qu’on fit sortir de la salle avant les riches. Lesquels y furent tenus encore une heure après que le général, qui n’avait accompagné sa menace d’aucun discours, en était sorti. Trois jours plus tard fut livrée une quantité de nourriture suffisante pour tenir jusqu’au printemps et l’on apprit que plusieurs parmi les plus nobles avaient été assassinés.
Les provisions livrées étaient en quantité importante et je suppose ceci: que les plus riches gardaient de grandes quantités de nourriture dans quelques parties secrètes de leurs maisons et qu’ils en faisaient distribution, à notre insu, à ceux qui dépendaient d’eux, qu’une partie d’entre eux étaient du parti barbare et que ceux-là furent d’avis de s’enfuir après avoir détruit les provisions, vouant ainsi la population au massacre si le général exécutait sa promesse, à la famine sinon, mais aussi plongeant l’armée dans le dénuement le plus complet. Ce sont ceux-là, ou du moins les chefs de ce parti, que je suppose qui ont été assassinés.