Il ne neigea qu’une fois, au début décembre. Comme la température ne monta jamais au-dessus du point de congélation, la très mince couche de neige se maintint tout l’hiver sur un sol dur comme le rocher. Une couverture sombre et basse de nuages restait dans le ciel sans précipiter. Il soufflait en général un fort vent de nord-ouest qui tirait rapidement cette couverture de nuages dans le ciel sans jamais le déchirer et des quatre mois et demi que dura l’hiver il n’y eut pas un jour où le soleil vînt réchauffer la terre.
Je trouvai à me loger avec le vieux dans une maison d’un étage que ses habitants avaient abandonnée. La maison avait été presque vidée mais il y restait de quoi nous vêtir de neuf et des couvertures pour la nuit. A cause du froid, nous descendîmes des lits de l’étage et nous les installâmes dans la pièce du rez-de-chaussée où était l’âtre. Nous étions d’autant plus sensibles au froid que nous mangions peu. Nous passions nos journées à grelotter autour de l’âtre. Le vent était souvent chargé d’humidité, qui réveillait les rhumatismes du vieux. Lorsqu’il avait ses douleurs le vieux geignait et se plaignait continuellement, il était impossible de rien lui dire ni d’en rien obtenir. Il n’en continuait pas moins à dire des vers mais il était souvent difficile de savoir si les vers qu’il disait étaient nouveaux ou s’ils n’étaient qu’une réminiscence et même, bien que les vers fussent généralement dits d’une voix plus haute et plus articulée, il était quelquefois difficile de les distinguer de la litanie de ses plaintes. Il est vrai que parfois c’étaient ces plaintes elles-mêmes qu’il mettait en vers. De tout ça je notais ce que je pouvais, au petit bonheur. Lorsque ses douleurs le laissaient en paix, il était, malgré la tristesse du ciel, plein de gaieté et d’entrain, il plaisantait surtout, ou racontait des souvenirs.