débâcle (3/3)

Soudain le grand froid cessa. Il pleut alors sans discontinuer, tantôt bruine, tantôt dru. Partout l’eau, pluie et neige fondue, imbibe le sol, grossit les cours d’eau. Rapidement routes et rues se couvrent de boue. J’étais dans une petite ville du centre de l’île et je déjeunais chez le responsable local du parti lorsque la radio annonça la démission du gouvernement. Conformément à mes instructions je regagnai la capitale le soir même par le train. Le désordre s’installa plus vite encore que prévu, bandes armées, soulèvements paysans et grèves inorganisées, asphyxie des villes. Bientôt j’eus l’impression que mon travail n’avait plus prise sur rien, je ne trouvais personne, adresses et renseignements étaient périmés. Les instructions reçues lors de notre séjour dans la capitale se trouvaient dépassées. Je décidai alors que nous serions, ma femme et moi, au rendez-vous du capitaine dont une quinzaine de jours nous séparaient. Nous pûmes quitter la capitale par le chemin de fer. Nous laissâmes le train quelques kilomètres avant d’arriver, la crue avait emporté un pont. Nous continuâmes à pied. Nous avons traversé des villages dévastés. Comme beaucoup d’autres, nous nous sommes retrouvés au bord de la mer. Des escaliers de bois descendent à flanc de falaise vers les embarcadères. Les barques surchargées se renversent avant d’atteindre la mer. « Nous avons le temps, dis-je, d’aller voir si les cerisiers sont en fleurs. » Habituellement on vient en foule à cette époque de l’année déjeuner sur l’herbe parmi les cerisiers fleuris. Cette année pas de déjeuner sur le pré détrempé. Malgré tout, les pas de nombreux visiteurs recouvrent de boue l’herbe de la cerisaie. En fin de matinée quelques flocons de neige sont tombés sur la cerisaie, de gros flocons pareils aux pétales de cerise.